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16/06/2016 Séminaire : Le temps en Champagne durant la Grande guerre
Evénement proposé pour le réseau par Anouchka Vasak
  • Date : 16/06/2016
  • Lieu : EHESS, 105 boulevard Raspail, 75006 Paris, salle 8
Description complète :
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Martine Tabeaud et Xavier Browaeys, géographes (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
«Le temps en Champagne durant la Grande guerre»


Compte-rendu

Martine Tabeaud et Xavier Browaeys, géographes (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Temps de guerre. Les ciels de Champagne en « 14-18 »

Compte rendu de la séance du 16 juin 2016

Temps de guerre! une expression délibérément à double sens. Cette séance de séminaire a confronté les hommes qui font la guerre aux ciels saisonniers qu'ils ont affrontés ou qu'ils ont voulu exploiter entre 1914 et 1918.

Pour tout le front des combats, des Flandres aux Vosges en passant par l'Artois, la Somme, Le Chemin des Dames, la Champagne, l'Argonne et Verdun, on dispose d'archives météo au jour le jour. On peut les entrecroiser avec des textes littéraires, des journaux intimes ou des rapports qui soulignent l'influence des conditions météo sur la vie quotidienne de millions d'hommes.

Mais ces chiffres et ces mots ne nous disent rien de l'aspect du ciel. Ses nuances de bleu, la physionomie les nuages blancs, gris, noirs, roses ou rouges au coucher du soleil, ses lumières quand la pluie ou la neige tombe et l'éclat des brouillards givrants. Il y a là un manque qui, pour des raisons de sensibilité des pellicules ou des plaques de verre, n'est pas comblé par la photographie. On ne peut y voir ni la couleur du ciel ni l'état des nuages. Il nous faut les imaginer en plongeant dans l'abondante documentation. C'est le cas partout sauf en Champagne. Là, un peintre, André des Gachons, méticuleux et passionné de météo a exposé son goût pour la lumière, la transparence et les formes avec tout le nuancier de sa palette d'aquarelliste. Tous les jours que « Dieu a fait », il offre, à notre regard émerveillé, l'infinie variété des ciels par essence toujours changeants. C'est en visitant cette œuvre unique que l'on peut partir à la recherche du temps perdu.

Réformé en décembre 14, André des Gachons fournit au BCM (Bureau central météorologique) des aquarelles datées, de dimension 12x9 cm. Des Gachons est enregistré au BCM comme « peintre imagier » et météorologue bénévole. Par ailleurs, l’Etat major a listé les situations de « météo critique » : froid, gel, neige, tempête, orage, vent, pluie. A partir de toutes ces données entrecroisées, on peut dégager quelques ciels types ainsi qu’une météo instantanée, au fil des saisons.

  1. La saison chaude
    C’est ce qu’on appelle communément « le beau temps » -ciel bleu, anticyclone-. Des Gachons peint peu ce type de ciel, mais il peint des couchers de soleil. C’est le temps idéal pour les aérostiers ; ils sont à 4 km en arrière du front, à environ 1000 m de hauteur. Le beau temps est très apprécié des poilus. Il n’y a pas eu de canicule pendant la Grande guerre (à la différence de 1911), mais une vague de chaleur. En ce cas, même si la craie de Champagne réverbère beaucoup, la nuit il fait frais. Pour les soldats, c’est un temps très difficile : soif, insolation. Pour les aérostiers, la visibilité est médiocre. Les orages (comme celui du 6 juillet 1915) sont aussi cause de problèmes, notamment pour les aérostiers, car le ballon, l’avion ne sont pas des cages de Faraday : danger de la foudre et de la bourrasque. Des Gachons aime peindre les ciels orageux, avec des éclairs différents. Pour les poilus, l’inquiétude concerne le risque d’inondation de la tranchée.
  2. La saison froide
    50 heures d’ensoleillement par mois. Les hivers 14-15 et 15-16 ont été doux, pluvieux et venteux. Mais l’hiver 16-17 a été très froid, l’hiver 17-18 froid. Des Gachons peint des ciels typiquement hivernaux, d'un bleu délavé. En 17, la neige tient au sol. Pour les aérostiers, c’est pain bénit : ils repèrent toutes sortes de traces. Si un gel continu s’installe, la situation anticyclonique s’auto-entretient, et la nuit, la température descend jusqu’à -10, -12°C. Ainsi les six semaines de janvier-février 17. On peut traverser à pied les cours d’eau. Le 27 janvier, le ciel peint par des Gachons évoque une aurore boréale (il présente des signes de réverbération). Dans les abris, les poilus peuvent éventuellement allumer des braseros. Les aérostiers continuent leurs observations. Mais le risque est que les moteurs et les mitrailleuses se grippent. La fin de la vague de froid se caractérise par de la pluie et des risques de débordement des cours d’eau.
  3. Les saisons intermédiaires
    • Pluie.
      Il peut y avoir des pluies intenses ou durables, des coups de vent. Quatre printemps frais et arrosés ; les automnes 14 et 17 ont été doux, 15 et 16 froids avec pluie et vent, 18 venteux et arrosé. Des Gachons peint des ciels associés aux situations pluvieuses et venteuses. En mars 16, on dénombre 7 séquences pluvieuses. Il y a peu d’aquarelles qui représentent la pluie qui tombe. Quand il pleut, aucun avion, aucun ballon. La craie de la Champagne ne se dissout pas dans l’eau, et forme une pâte blanche collante. On creuse alors des rigoles dans la tranchée jusqu’à un puisard. On y met des gabions, et au-dessus on recouvre la tranchée de caillebotis. L’eau souillée ne peut pas être donnée aux chevaux (il n’y a plus de chevaux à la fin de la guerre). Dès l’automne 14, on pratique la vaccination contre la dysenterie. Les pieds sont nécrosés. L’eau potable manque : il faut la faire bouillir, ou la filtrer, ou la chlorer (« verdunisation » de l’eau).
    • Vent.
      Les aérostiers ne partent pas en mission par fort vent. Ou bien ils sont surpris en mission par des « grains ». Les poilus, eux, guettent tous les vents faibles qui viennent vers eux, signe d’une possible attaque au gaz.
  4. Trois ciels de guerre non saisonniers peints par des Gachons
    • Le 13/12/15 : comme un projecteur dans la nuit d’hiver
    • Le 9/1/16 : un nuage associé à la guerre
    • Le 30/1/16 : une explosion

Au total, une multitude de ciels que nous connaissons bien, pour les avoir déjà vus, à l'exception de trois d'entre eux. Les saisons n'ont pas changé au point que les ciels soient différents. Par contre, l'observateur d'aujourd'hui, dans la paix de la campagne champenoise, ne pourra plus jamais ressentir les mêmes émotions qu'un aérostier dans son ballon, qu'un poilu dans sa tranchée. De tous ces hommes dans la guerre, l'aquarelliste André des Gachons est finalement le plus proche de nous....

 
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