Séminaires
Retourner à la liste des séminaires

21/01/2016 Séminaire : Action militaire et météo, l’inévitable retour à la nature ?
Evénement proposé pour le réseau par Anouchka Vasak
  • Date : 21/01/2016
  • Lieu : EHESS, 105 boulevard Raspail, 75006 Paris, salle 8
Description complète :
----------------------------------------------------------------------------------------
Paul Nayral de Puybusque (Général de division, Université Catholique de Lille, Institut International de Prospective sur les Ecosystèmes Innovants
« Action militaire et météo, l’inévitable retour à la nature ? »


Compte-rendu

Paul Nayral de Puybusque, Université Catholique de Lille
Météorologie et action militaire. L’inévitable retour à la nature ?

La mémoire collective, comme les historiens, associent fréquemment et avec raison des pages de l’histoire militaire à l’action prépondérante des éléments. La Bérézina ou l’Invincible Armada symbolisent encore de nos jours l’impact irrépressible des conditions météorologiques sur la volonté des hommes.

L’étude qui suit cherchera à montrer qu’indéniablement la météorologie peut influencer ou décider du sort d’une armée en campagne. Elle est même devenue aujourd’hui un élément majeur de la planification des opérations. Cette contrainte prend une nouvelle ampleur dans nos sociétés où les unités combattantes sont formées d’hommes peu habitués par le style de vie moderne à affronter la nature. Il convient donc de les entraîner à y vivre, et à ne pas être dominés, voire même à savoir utiliser les conditions météorologiques pour remplir leurs missions.

Derrière les noms de chaque bataille se cachent en effet toujours les patronymes méconnus de tous ceux qui ont parfois autant à souffrir de la folie des hommes que de la dureté des éléments.

  1. Quelques éléments préalables de compréhension
  2. L’action militaire doit in fine amener à quelque chose qui ressemble à la victoire. Pour cela, le soldat (terme générique qui recouvre ici toutes les grades et fonctions) s’entraîne afin d’acquérir des capacités techniques et tactiques lui permettant de prendre l’ascendant sur son adversaire, mais aussi pour maîtriser son environnement humain et géographique. La météorologie est ainsi un facteur révélateur de la qualité d’une troupe (et de ses matériels) ; elle peut multiplier ses vertus ou, à l’inverse, accentuer ses faiblesses. Face à elle, doit aussi s’appliquer la devise du Maréchal de Lattre de Tassigny, « Ne pas subir ».
  3. Quelques exemples historiques
    • Sun Tsé, 6 siècles avant JC, préconise au stratège de prendre en compte quatre paramètres majeurs : l’influence morale (sur l’adversaire), les conditions météorologiques, le terrain, la doctrine et le commandement.
    • Au 13è siècle, l’empire Mongol envahit la Chine par la Rivière Jaune gelée, mais renonce à envahir le Japon après avoir vu par deux fois sa flotte réduite à néant par des tempêtes. C’est l’aléa météo imprévisible qui permet dans le premier cas la surprise, puis dans le second, oblige à la retraite.
    • En 1588, l’Invincible Armada faisant le tour des Iles Britanniques après des escarmouches en Mer du Nord perd 130 navires quasiment sans jamais combattre. C’est le cumul d’erreurs maritimes dans des conditions particulièrement difficiles qui annihile le rêve d’invasion de l’Angleterre.
    • La campagne de Russie par Napoléon se solde par une défaite humaine et politique majeure. Des 500.000 hommes partis vers Moscou, 25.000 revinrent chez eux. C’est la conséquence dramatique de l’impréparation et de l’obstination face au « général Hiver ».
    • Le 14/11/1854, lors de la guerre de Crimée, au siège de Sébastopol, la tempête couche 40 navires qui ne s’étaient pas réfugiés à l’abri. A Paris, l’astronome Urbain le Verrier analyse les observations faites les jours précédents en Europe et prouve à l’Empereur que la flotte aurait pu être prévenue. En conséquence, est décidée la création d’un réseau d’observation des tempêtes en France puis en Europe. 50 stations existeront en 1864. Le Bureau central météorologique est créé en 1878 !
    • Durant la 1ère guerre mondiale, changement majeur, la météo est partie prenante des opérations. En effet, elle est une composante décisive de l’efficacité des tirs d’artillerie, des actions aériennes, et des lâchers de gaz.
    • Durant la seconde guerre mondiale, nous ne retiendrons ici que la finesse des prévisions météo alliées qui permirent le « D Day » dans un court créneau favorable que n’avaient pas su voir les Allemands, pourtant réputés fin météorologistes.

  4. Aujourd’hui
  5. En France, l’Etat-major des armées dispose à Paris du Bureau géographique hydrographique océanographique et météo, avec son Centre interarmées de soutien météo-océanographique des forces basé à Toulouse, tous en liens très étroits avec Météo-France. Ils envoient leurs prévisions aux unités en opérations ou à l’entraînement, quel que soit le territoire : Mali, Centrafrique, Corne de l’Afrique, Norvège…. L’action des unités terrestres, aériennes et maritimes ne peut plus s’en passer.
  6. Demain
  7. Avec les perspectives offertes par « le soldat augmenté », à l’instar de « l’homme augmenté », et avec des questions éthiques similaires, peut-être le soldat saura-t-il affronter plus facilement les conditions météorologiques ? Il conviendra cependant de veiller à ce qu’il n’y perde pas son humanité, car c’est elle qui peut donner des limites malgré tout acceptables à l’emploi des armes.
  8. La préparation opérationnelle du soldat, clé de voûte de l’action militaire.
  9. Le soldat est un citoyen ordinaire qui se retrouvera confronté à des situations extraordinaires, dans un univers géographique et humain qui peut lui être profondément étranger. Ceci, dans des circonstances météorologiques qui peuvent également lui être au moins inhabituelles, au pire totalement inconnues. Il doit donc apprendre à vivre plus ou moins longuement sans le confort normal de l’occidental, et préserver ses capacités quelles que soient les circonstances.

.Le soldat doit ainsi prendre conscience de son corps, de son potentiel et de ses limites. Il doit savoir endurer, être frugal, mesurer et utiliser la complémentarité entre les ressources morales et physiques. Pour tout dire, ressentir le sentiment obscur d’être à sa place dans la nature, mais que cette place est petite et fragile.

Pour cela, l’entraînement doit savoir être avant tout progressif, mais aussi parfois dur, afin de transformer un « citadin » en « rural », capable de faire de la météo son allié. Il doit avant tout, et c’est un point majeur, savoir faire ressentir que la solidarité, la camaraderie, la cohésion et la discipline (et son alter ego parfois méconnu, l’initiative), sont les premiers atouts pour se confronter au froid ou à la chaleur extrêmes, aux tempêtes de sable, à la pluie incessante, et au découragement qui peut alors gagner.

C’est là sans doute une leçon pacifique que peut apporter la vie militaire, la prise de conscience de l’immense force et de la faiblesse du corps, du soin attentif qu’il demande mais aussi de son étonnante capacité à s’adapter et à endurer ; dernier lien avec un état de nature qui s’éloigne un peu plus chaque jour de notre style de vie.

« Qu’est-ce qui nous reste? Sinon notre corps de singe, notre grand corps de singe sentimental que nous essayons de cacher, que nous essayons de brider, de maîtriser, de tenir à distance, notre corps qui sent et qui pète, notre corps qui s’émeut pour rien, notre corps si faible qu’il faut chaque jour l’endormir, le laver et l’alimenter, notre corps qui nous exaspère, notre corps de mammifère apeuré qui tremble, qui s’énerve vite, qui se décourage vite, notre corps mou qui exulte puis s’effondre, notre corps qui s’épuise, qui pleure pour ses blessures, qui pleure pour une caresse, qui pleure parfois pour rien. Il ne reste de nous dans ce monde dissous que cette petite boule de poils tièdes qui rit et sanglote. »

Alexis Jenni, La Nuit de Wallhenhammes

 
page mise à jour le 08/01/2007 - © 2004-2011 Réseau perception du climat - tous droits réservés