17/12/2015 | Séminaire : La météo de Waterloo |
Evénement proposé pour le réseau par Anouchka Vasak
---------------------------------------------------------------------------------------- Damien Lannaud, EHESS, 17 décembre 2015 |
Compte-rendu |
Damien Lannaud, EHESS, 17 décembre 2015 Victor Hugo a été vraisemblablement le premier à faire de la météo un facteur déterminant de la bataille de Waterloo : « Dans la bataille de Waterloo, il y a plus que du nuage, il y a du météore » (Les Misérables, 1862). Météore, c’est d’abord un « phénomène qui se produit dans l’atmosphère » (sens propre), mais c’est aussi « ce qui brille, passe rapidement » (sens figuré). Le tableau Campagne de France, 1814 d’Ernest Meissonier (1864) montre que la météo est un élément incontournable des campagnes de Napoléon, mais aussi que l’homme, est, potentiellement, du fait de son parcours, une allégorie du météore. « S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Quelques gouttes d’eau de plus ou de moins ont fait pencher Napoléon. Pour que Waterloo fût la fin d’Austerlitz, la providence n’a eu besoin que d’un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel à contresens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde. » (Victor Hugo). Considérons ensuite le tableau The Duke of Wellington at Waterloo, RA Hillingford (1890) : si Meissonier représenta Napoléon à cheval, à la tête de ses généraux, en vainqueur de la campagne de France malgré la pluie et la neige, ici, comme une sorte de miroir, Hillingford peint Wellington victorieux dans la boue de Waterloo. Sur un plan symbolique, la pluie de Waterloo est l’inverse du soleil d’Austerlitz. Austerlitz c’était la consolidation du pouvoir personnel de Napoléon, Waterloo en marque l’effondrement. 18 juin 1815 : selon Thierry Lenz, c’est « autant un événement politique qu’une bataille ». Fin de « la plus grande épopée personnelle de l’histoire mondiale depuis Jules César (Andrew Roberts), fin du mythe vivant qu’était ce « dieu de la guerre » (Clausewitz), et ouvre une « ère de paix ». Les conditions météo ont-elles été décisives, déterminantes, ou simplement importantes dans l’issue de la bataille ?
Napoléon est revenu d’exil. Le Congrès de Vienne le déclare « hors-la-loi » et « perturbateur de la paix européenne ». France assiégée par 700 000 soldats. Napoléon choisit d’attaquer les armées anglo-néerlandaises et prussiennes basées sur le territoire belge. Napoléon recherche « une victoire éclatante sur Blücher et Wellington, les deux généraux dans lesquels les princes alliés mettaient le plus leur confiance, que Bonaparte porterait un coup qui frapperait la France d'admiration, les Alliés de confusion et l'Europe d'étonnement » (Clausewitz). 12 juin : il rejoint son armée à Laon, quartier général de l’Armée du Nord. « L'armée est belle et le temps est beau ». 15 juin : il entre sur le territoire belge. Près de Fleurus, Napoléon livre bataille aux Prussiens à Ligny le 16 juin, pendant que Ney va à la rencontre des anglo-néerlandais aux Quatre-Bras. L’armée anglaise se retire vers Waterloo, les Prussiens vers Wavre. 18 juin : Waterloo. Forces en présence : 77 500 Français (supériorité artillerie) ; 73 000 Anglo-néerlandais ; 49 000 Prussiens (par vagues à partir du milieu d’après-midi). La stratégie de Napoléon est l’attaque ; son objectif, une victoire éclatante). Il prend donc l’initiative. Mais il ne peut avoir recours à de grands mouvements, de débordements : le champ de bataille est en réalité « petit » pour l’époque. Les assauts français ressemblent donc à une attaque frontale. Wellington adopte, quant à lui, une stratégie défensive. Il place son armée sur le plateau de Mont-Saint-Jean, à l’abri, dans les replis du terrain. Il a fortifié deux fermes (Hougoumont, Haie Sainte). Dans ce contexte, les conditions météorologiques semblaient désavantager une tactique offensive. Y a-t-il eu un « nuage à contresens de la saison » ? « The weather of the Waterloo campaign 16 to 18 June 1815 », Dennis Wheeler, Gaston Démarée, revue Weather (2005). Guillaume Schamp, météorologue rentier installé à Gand, note que le mois de juin 1815 est particulièrement pluvieux et « extraordinairement froid pour la saison » (env. 21°C) : la vendange a été mauvaise, les pommes sont restées petites à cause du manque de chaleur. On est en outre dans une période appelée minimum de Dalton (1810-1819) : diminution des taches solaires, donc climat plus froid. La période 1810-1919 fut la plus froide depuis la fin du 17e siècle (minimum de Maunder). Le mois de juin a été également très pluvieux : 106 mm, alors que la normale saisonnière est plutôt de 67mm. Mais selon les carnets des témoins, il y a eu aussi, au cours de ce mois, des journées chaudes et des orages. En fait, les données concordent : une zone de basse pression en juin 2815 s’installe sur le Nord-Ouest de la France et sur les Pays-Bas. On note la succession rapide d’un front chaud (16-17 juin) et d’un front froid (17-18 juin). Quel fut l’impact sur les hommes ? Alexander Mercer, capitaine de l’artillerie britannique, mentionne la « chaleur étouffante », le fait que les hommes ont soif et qu’il pleut. Le matin, de nombreux soldats sont « engourdis par le froid et l’humidité ». Il note que « les Français, bivouaqués dans les prés et les terres grasses à l’ouest de Plancenoit, étaient, si possible, encore moins à l’aise que leurs adversaires ». Ce témoignage rejoint ceux rassemblés dans Waterloo, l’ultime bataille de Hugues Lanneau (2014). Le rôle de la lune (alors vers la fin de son premier quartier), peu étudié par les chercheurs, a été relevé par Hugo. La clarté de la lune aurait permis la prolongation des poursuites tard dans la nuit. Conclusion La météo a joué le rôle d’un facteur plus symbolique que décisif. Elle ne serait qu’une « fausse excuse » de plus : « De fait, la légende du chemin creux fut tout simplement forgée par l’orgueil des bonapartistes, comme bien d’autres ex post facto comme explications de leur défaite, de la trahison de Bourmont et du temps qu’il fit, et jusqu’aux hémorroïdes impériales » (Andrew Roberts). La météo a donc eu une valeur surtout symbolique. Pour Hugo, l’adversaire de Napoléon est Dieu (où l’on retrouve le météore) : « Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille ? Nous répondons non. Pourquoi ? A cause de Wellington ? A cause de Blücher ? Non. À cause de Dieu » car NB « gênait Dieu ». En réalité Napoléon n’a pas subi la volonté divine, mais a payé les conséquences de sa négligence d’un élément essentiel : outre la qualité du sol, c’est son relief. « Tout le secret de la guerre, et en fait tout le secret de la vie, est de « deviner ce qu’il y a de l’autre côté de la colline» (Wellington). Discussion Emmanuel Le Roy Ladurie évoque la pluie de Thermidor lors de l’arrestation Robespierre. Au-delà de la bataille, la guerre : la bataille de Cent Ans. Les guerres de région sont aggravées par le Petit âge glaciaire. Les famines de 1693 et 1709, la famine sous la Révolution ont aggravé la guerre. On peut vérifier les données thermométriques avec les séries de Manley puis celle de Daniel Rousseau. Xavier Broaeweys met en évidence le rapport offensive/défensive. Le mauvais temps gêne l’offensive. Voir au Chemin des Dames, le 17 avril 1917 : le mauvais temps ralentit les Français, fauchés à raison de 10 000 par heure. Les canons s’écrasent dans la boue. La contrepente champenoise en septembre 1915 a joué contre les Français. Voir Verdun, de Léon Poirier, film reconstitué en 1930. On appelle « pied de tranchée », le pied gelé dans les tranchées. Véronique Antomarchi évoque les « Journaux de marche » pendant la dernière guerre (les Goums) : la météo y est très présente, notamment en octobre 43, lors de la libération de la Corse. Martin de la Soudière: au Moyen Age, la guerre était très codifiée, on n’avait pas le droit de faire la guerre la nuit etc. Quand cela a-t-il changé ? E. Le Roy Ladurie évoque les marches forcées pour les prisonniers faites par les Prussiens en 1870 ; fin octobre-début novembre. |