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17/11/2005 Séminaire : Les mythes de l'eau
Evénement proposé pour le réseau par Martine Tabeaud
  • Date : 17/11/2005
  • Lieu : EHESS - 105 bd Raspail 75006 Paris troisième étage, salle 10
Description complète :
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La première séance de l'année 2005-06, le 17 novembre, sera consacrée aux mythes de l'eau, thème que nous n'avions pas eu le temps de traiter l'an dernier.
Deux intervenants seront présents pour parler avec nous :
-des mythes du déluge, Annamaria Lammel, psycho-ethnologue, université Paris 8
-de l'imaginaire du climat chez les Indiens paéz des Andes colombiennes, Beatriz Nates Cruz, ethnologue, université de Caldas, Colombie/chercheur invité MSH-CREDAL.


Compte-rendu
Les mythes du déluge : Déluge, mythe et pouvoir

Annamaria Lammel
Anthropologue-psychologue, Département de Psychologie, Université de Paris-VIII.
lammel@free.fr

Le mythe du déluge est le récit le plus répandu et le plus étudié dans le monde (Dundes, A. 1988. The flood myth, Berkeley, Univ. of California Press). Il existe sur tous les continents, mais peu en Afrique.
Les plus anciennes versions connues sont chaldéennes (classées par les folkloristes Aarne et Thompson sous le n° 1100). Il existe aussi des versions assyro-babyloniennes et sumériennes, et bien sûr la version de la Génèse, qui met en scène l’Arche de Noé.
Les thèmes communs : le monde est divisé entre pré-diluvien et post-diluvien; le grand cataclysme implique des questions de pouvoir et une nouvelle création

Les légendes du déluge en Hongrie
Les versions du mythe du déluge en Europe de l’Est, plutôt qualifiées de légendes du déluge (Aarne & Thompson n° 825) proviennent à la fois de l’histoire biblique, de commentaires juifs et musulmans du VIIe siècle et de sources iraniennes et arabes diffusées ensuite par les centres russes et bulgares.
Une cinquantaine de versions transmises par la tradition orale ont été recueillies en Hongrie.
Exemple de l’une des principales versions : Après le déluge, Noé est resté avec trois fils et seulement une fille. Ses fils voulaient prendre femme et se sont tous disputés pour leur sœur. Noé a alors transformé une chienne et une renarde en femmes, afin que chacun de ses fils puisse avoir une épouse. Mais seul celui qui a épousé sa sœur a été heureux.
Les paysans hongrois justifient ainsi le pouvoir des hommes sur les femmes, qui d’après l’histoire, ne sont pas tout à fait humaines, mais ont une part animale.
(Cf. Lammel A. & I. Nagy. 1985. Parasztbiblia. Budapest, Gondolat. Traduction en français : sous presse (2006). La Bible paysanne. Paris, Bayard ; Lammel, A. & I. Nagy. 1988. “The Bible and the Hungarian peasant tradition : transformational processes of biblical folk-narratives”. In F. Poyeitos (ed.). Literary anthropology. Amsterdam/Philadelphia: 173-194).

Les mythes du déluge chez les Incas
Deux versions ont été recueillies juste après la Conquête espagnole. L’une, probablement la version précolombienne, met en scène un homme et sa famille qui échappent au déluge en grimpant au sommet d’une montagne, et recréent ensuite le monde. L’autre, relaté par Guaman Poma de Ayala, indique que les Espagnols se sont installés sur cette terre après le déluge, et justifie le pouvoir des conquérants sur les autochtones.
(Cf. Lammel A., 1988. Historical changes as reflected in South American Indian myths. In Dundes, A., The Flood Myth. Berkeley, Univ. of California Press: 221-241).

Les mythes du déluge chez les Totonaques du Mexique
Les Indiens totonaques vivent près du Golfe du Mexique et sont régulièrement touchés par des cyclones. Chez ces paysans proches de la nature, les mythes du déluge se réfèrent principalement à la force des éléments naturels, au pouvoir des divinités de la nature. La transgression des règles de la nature est punie par les dieux. Ces mythes sont centrés sur les phénomènes météorologiques. Le danger c’est l’absence ou l’excès de pluie. L’ordre (climatique) est fragile, le risque est de tomber dans le chaos. Les rites pratiqués dans cette région visent à rétablir l’équilibre du monde.
Les récits recueillis en 1985 par Lammel sont très semblables à ceux recueillis au moment de la Conquête chez les Aztèques.
Exemple d’un récit : Tajín, le dieu du Tonnerre était entouré de douze vieillards. Juan, un jeune homme curieux voulait entrer dans une pièce dont les vieillards interdisaient l’accès. Un jour, il réussit à y pénétrer et revêtit le costume de la pluie. Il se mit alors à pleuvoir sans cesse. Les vieillards réussirent finalement, tant bien que mal, à arrêter le déluge. Ils punirent Juan en l’enchaînant au fond de la mer. Depuis, lorsqu’on entend le tonnerre, ce sont ses cris qui parviennent de la mer. (Cf. Lammel, A., 2002, « Les couleurs du vent, la voix de l’arc-en-ciel. Perception du climat chez les Totonaques », In Katz, E. et al., Entre ciel et terre. Climat et sociétés. Paris, Ibis Press/IRD: 89-108).

Conclusion
Les mythes du déluge impliquent généralement l’idée d’une destruction à cause d’une faute, d’une purification par le déluge et d’une nouvelle création. Mais dans chaque culture, l’accent est mis sur un aspect spécifique : la justification du pouvoir des hommes sur les femmes chez les paysans hongrois ou des Espagnols sur les Indiens dans les Andes, la nécessité de l’équilibre de la nature chez les Totonaques.


La perception du climat chez les Indiens Paéz des Andes colombiennes

Beatriz Nates Cruz
Anthropologue, Université de Caldas (Colombie), chercheur invité à la MSH/CREDAL.
beanates@hotmail.com

Le milieu physique
Les Paéz vivent dans la province du Cauca au sud de la Colombie. Ils occupent des étages écologiques élevés, entre 1500 et 3000 m, appelés localement “piso térmico páramo” (>3000m), “piso térmico frío” (2000-3000m), et “piso térmico templado” (<2000m). Le climat est caractérisé par l’alternance entre saisons sèches et de pluie, appelées en Colombie “périodes”, et qualifiées localement de “sèche”, “de pluie” et “intermédiaire”. La répartition des saisons varie selon les altitudes. À grands traits, la saison sèche dure environ de juin à août-septembre et les pluies de septembre-octobre à mai, avec des périodes aux précipitations moins intenses, qualifiées de “saison sèche” ou “intermédiaire”. Les précipitations moyennes annuelles vont de 1600 mm (à l’étage tempéré) à 3000 mm (à l’étage “páramo”). Les habitants caractérisent le début des différentes périodes par l’apparition de certains animaux (oiseaux, abeilles, écureuils,...). Les Paéz sont avant tout des cultivateurs de maïs, plante alimentaire et rituelle, gérée par les femmes. Celles-ci font certaines prévisions météorologiques à partir de changements dans l’aspect des plants de maïs, qu’elles observent au quotidien.

Les Paéz
Les Paéz se nomment eux-mêmes Nasa (“les Gens d’ici”), et parlent la langue nasa yuwe. Ils vivent dans des réserves indigènes (“tierras de resguardo”), gouvernées par un “cabildo” avec un président, le “gobernador”. Ils sont connus pour leurs revendications politiques et territoriales, dans lesquels leurs chamanes, les the’wala, également guérisseurs et faiseurs de temps, jouent un rôle de conseillers. Ils ont constitué un très fort mouvement politique, et sont aujourd’hui en relation avec d’autres Indiens des pays voisins, comme les Aymara de Bolivie.

La perception des phénomènes météorologiques
Pour les Paéz, les phénomènes météorologiques (vents, nuages, différentes sortes de pluies, arc-en-ciel, bourrasque, foudre/tonnerre) sont des êtres vivants, qui peuvent par exemple se fâcher. Ils vivent dans des espaces de la nature éloignés des villages : les « montagnes bleues » à très haute altitude (vers 4200 m), le páramo (au-dessus de 3000 m), les lacs, en particulier le lac Juan Tama (nom d’un héros) où vit l’arc-en-ciel, la “terre de serpent” (la limite entre le sauvage et le cultivé) et la “terre de lutin” (“tierra de duende”) (terre humide). Quand des phénomènes météorologiques arrivent, les Paéz disent “ils viennent nous rendre visite” et ils les accueillent.

Les rites météorologiques
Trois types de rites météorologiques sont pratiqués :
- les Rogations (“Rogativas”) : processions avec des images saintes, organisées par les femmes pour demander la pluie, avec l’aide du curé ;
- les “Sahumerios” qui consistent à brûler de l’encens (“sahumar”) (avec de la laine noire de mouton et des grains de maïs d’altitude) pour éloigner les phénomènes météorologiques dangereux :
o les orages de grêle : ce rite est réalisé dans un champ de maïs par deux personnes âgées.
o la tempête : on utilise de la rue comme plante protectrice. Les enfants sont impliqués dans le rite.
o la “chamusquina” (une sorte de pluie avec du soleil) : l’homme met dans le champ une croix de feuilles sèches de maïs, mais finalement c’est la femme qui termine le rite à la maison.
o la foudre/tonnerre. Les “vrais” chamanes sont initiés en étant frappés par la foudre, mais ils se font de plus en plus rares aujourd’hui. Dans les dernières années, on a évité de pratiquer ce rite, car on espère que de nouvelles personnes seront foudroyées. Les chamanes qui ont été initiés par apprentissage ou en rêvant simplement de la foudre sont considérés moins puissants.
- la “Lecture des nuages” par les chamanes. À jeûn, ceux-ci mâchent des feuilles de coca au bord d’une rivière, jouent de la flûte pour appeler les êtres des “montagnes bleues” et cherchent des nuages de l’une des trois couleurs “des choses inespérées”, bleu, gris et mauve. Ils interprètent ensuite leur forme (qui représentent des conflits, des mauvaises récoltes,...) et y puisent des conseils pour les actions politiques à mener. Ce rite a été beaucoup pratiqué dans les années 1989-91, quand il s’est agi de récupérer les terres des haciendas. Il l’est moins actuellement.

Conclusion
Notons l’importance de la personification des phénomènes météorologiques, du rapport nature/politique dans cette société, et de la vitalité de ces pratiques et représentations ; observées par l’anthropologue depuis le début des années 1990, elles sont encore bien vivaces à présent.

(Cf. Nates Cruz, B. & P. Cerón, 1997, "El tiempo que hace" : Percepción de los fenómenos meteorológicos entre los paeces (Colombia). In Goloubinoff, M. et al. (ed.) Anthropología del clima en el mundo hispano-americano, Abya-Yala, Quito: 57-82.)
 
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