Compte-rendus de lecture
30/11/-0001 Compte-rendu de lecture de : Mer de glace. Art et science
Evénement proposé pour le réseau par Alexis Metzger
  • Auteur : Samuel Nussbaumer, Philip Deline, Christian Vincent, Heinz J. Zumbühl
  • Date de parution : 01/01/2019
Description complète :

Samuel Nussbaumer, Philip Deline, Christian Vincent et Heinz J. Zumbühl (dir.), Mer de glace. Art et science, Chamonix, atelier Esope, 2012.

Horace-Bénédict de Saussure l’affirmait au XVIIIe siècle : « il n’y a dans les Alpes rien de constant que leur variété ». Citée en préambule de l’ouvrage, cette phrase ne s’applique pas tant ici à la diversité alpine des paysages, des cultures, des identités, etc. qu’à la variété des documents permettant de reconstituer l’histoire de la Mer de glace. Creusant les liens entre glaciologie, histoire, histoire de l’art et histoire du climat, les auteurs vont en effet documenter les fluctuations de ce célèbre glacier du Massif du Mont-Blanc en France.

Le livre se compose de cinq chapitres qui sont autant d’approches, de sources et de temporalités différentes pour mieux connaître le glacier.

Le premier montre comment la Mer de glace est devenue objet de science, avec Forbes et Vallot notamment avant d’être un « révélateur du climat » (p. 26). On y apprend par exemple que la surface du glacier, dans son secteur aval, s’abaisse de 4 mètres par an depuis les années 1980. Se pose alors des questions d’adaptations, pour les alpinistes qui prennent pied sur le glacier pendant leur course, pour les touristes qui vont voir des sculptures de la grotte de glace ou encore pour EDF et sa prise d’eau. De très belles photos « dans les entrailles du glacier » viennent clore ce chapitre. On regrettera peut-être l’absence de témoignages de différents acteurs pouvant être marqués par la fonte du glacier, « espace vécu » différemment pour les uns et les autres.

Le second chapitre apporte les connaissances indispensables pour comprendre comment s’écoule « ce fleuve ». Les auteurs reviennent sur la dernière crue récente, entre 1954 et 1981 avant de parler de « débâcle ». Ils pointent également l’importance des débris morainiques dans le comportement du glacier.

Les deux chapitres suivants vont inscrire le propos dans des temps plus longs. Le chapitre 3 précise les apports de la paléogéographie et dendroglaciologie. Il y a 25 000 ans, au dernier maximum glaciaire, les glaciers du Mont-Blanc arrivaient aux portent de Lyon ! Si cette information est connue, l’est peut-être moins l’étude de la trimline, limite de la surface maximale d’englacement. Les auteurs ont pu la reconstituer, l’altitude de 2400 m était souvent dépassée (p. 64). Dans cette partie, tout comme dans tout le livre, des cartes faciles à lire viennent appuyer la démonstration.

Le chapitre 4 aborde le second millénaire et montre quelles sources peuvent être utiles pour reconstituer les fluctuations glaciaires de 1570 à nos jours. Les sources iconographiques, toutes reproduites en couleur et de très bonne qualité, apportent de précieuses informations à partir du moment où elles sont datées et où la position de l’artiste est connue. C’est ici une perspective chronologique qui est adoptée, rappelant les regards qui se transforment peu à peu sur la montagne dans la lignée des travaux de Philippe Joutard. Les auteurs montrent également l’intérêt croissant des peintres pour la Mer de glace, dont Jean-Antoine Linck et Samuel Birmann. Grâce à eux, à partir de la fin du XVIIIe siècle, les fluctuations du glacier peuvent être assez précisément connues. Cartes et photographies viendront ensuite prendre le relai.

Curieusement, c’est le chapitre 6 qui approfondit la question des regards sur les glaciers dans l’histoire ; il aurait pu être inclus au chapitre 4. Il est dommage que ne soient pas intégrées aux réflexions celles d’Hélène Zumstein qui a fait sa thèse sur l’histoire culturelle des glaciers au XVIIIe siècle. Entre les chapitres 4 et 6, le chapitre 5 revient sur l’évolution de la couverture détritique et montre comment la surface du glacier est passée de blanche à grise. S’est en effet formée une veine noire qui va alimenter en débris la surface du glacier.

Cet ouvrage est donc passionnant et montre comment les disciplines, chacune plus habituée à travailler avec certaines sources, se complètent pour mettre en lumière les fluctuations de la mer de glace à différents pas de temps. Sciences dures et sciences humaines produisent également leurs propres imageries du glacier, les unes montrant par exemple en couleurs artificielles des vitesses d’écoulement du glacier par images satellitaires, les autres produisant une courbe de fluctuations de l’extension maximale de la langue glaciaire grâce à des peintures, cartes et textes. Resterait peut-être à mieux analyser les propositions d’artistes contemporains mettant en scène la Mer de glace dans leurs œuvres, comme celles d’Aurore Bagarry.

 
page mise à jour le 18/02/2008 - © 2004-2011 Réseau perception du climat - tous droits réservés