Compte-rendus de lecture
15/01/2014 Compte-rendu de lecture de : La pluie, le soleil et le vent. Une histoire de la sensibilité au temps qu’il fait
Evénement proposé pour le réseau par Benjamin Lysaniuk
  • Auteur : Alain Corbin
  • Date de parution : 06/11/2013
Description complète :

Corbin A (dir) La pluie, le soleil et le vent. Une histoire de la sensibilité au temps qu’il fait. Paris, Aubier, « Collection historique », 2013, 256p.

L’ambivalence des météores

L’illustration choisie en couverture de cet ouvrage résume assez bien le sentiment généré par cette lecture : le vent londonien retourne le parapluie d’un passant qui, loin d’être perturbé, esquisse un sourire non-feint sous les yeux d’une citadine interloquée. Presque personnifié le vent semble revêtir le chapeau volé au passant dans un mouvement stoppé net par la photographie.

Au-delà de leur potentielle vigueur, les « éléments » engendrent des réponses dissemblables chez les êtres en fonction des perceptions individuelles ou des représentations collectives elles-mêmes tributaires d’effets contextuels qu’une vision historique des évènements renseigne avec pertinence.

Conduit par Alain Corbin, cet ouvrage rassemble des textes de L. Arnaudin Chegaray, C. Bourtoire, C. Granger, M. de La Soudière, A. Metzger, N. Phelouzat, N. Schoenenwald, M. Tabeaud et A Vasak. Spécialistes de littérature française, sociologues, ethnologues, historiens et géographes se partagent les météores du ciel au gré des deux cent cinquante-six pages qui composent ce livre agrémenté d’une petite vingtaine d’illustrations distillées à bon escient. Les très nombreuses notes de lecture (418 au total) témoignent de l’érudition des auteurs comme de l’importance de l’effort bibliographique collectif. La lecture aisée, rapide, fluide démontre le travail de mise en cohérence réalisé en amont, dans ce difficile exercice de compilation, tant sur le fond que sur la forme.

Quoi de plus commun que de parler du temps qu’il fait ? En abordant originalement le « théâtre météorologique » par le biais des « météores acteurs », l’ouvrage ne tombe jamais dans l’écueil de la banalité. En analysant tour à tour la pluie, le soleil, le vent, la neige, le brouillard et l’orage, les auteurs n’oublient jamais de rappeler les interrelations qui les lient au sein de types de temps saisonniers – exclusivement ouest-européens – chers à Pédelaborde. L’ambitieuse entreprise de conter une histoire de la sensibilité au temps qu’il fait est une réussite. Le lecteur percevra nettement l’évolution de la perception de ces météores et se délectera des descriptions faites de certains d’entre eux dont les connotations péjoratives contemporaines tendent à faire oublier l’expérience sensible, par exemple, des auteurs romantiques. Un curseur semble produire de perpétuels allers et retours entre le météore « bienfaisant » et son opposé « malfaisant » au gré de l’Histoire. Le chapitre sur le soleil est à ce titre édifiant passant du « hâle grossier » (p.41) au « bronzage […] qui incarne à lui seul les noces nouvelles des chairs et du soleil » : il traduit à lui seul l’ambivalente perception des variables du temps qu’il fait et de leurs effets dans une perspective diachronique. L’évocation, à de nombreuses reprises, de l’impact des conditions météorologiques sur la santé humaine s’appuie sur l’héritage hippocratique convoqué au fil des époques : « [la chaleur du soleil] exténue les corps, ouvre les pores » (p.40), « sans un souffle de vent, les conditions de vie se dégradent » (p.81), « l’eau que l’on peut en tirer (i.e. de la neige) […]porte dans les intestins le germe de diverses maladies » (p.93), « lorsque le smog persistait durant plusieurs jours, ses effets sur la santé humaine […]se révélaient préoccupants» (p.121). Le météore est un signe du temps qu’il fait mais également « fait le Temps », le lecteur constatera que « l’orage révolutionnaire » (p.164) de 1789 intervient un an jour pour jour après une séquence climatique défavorable ayant débuté par l’orage du 13 juillet 1788 : de la tourmente météorologique à « l’orage figuré […]qui vient troubler la paix de l’âme » (p.150).

Alternant en permanence entre perceptions individuelles du temps qu’il fait et représentations collectives « signe des Temps », cet ouvrage retrace, à travers certains météores, une histoire de la sensibilité climato-météorologique. Tantôt objet scientifique étudié par les savants, tantôt manifestation fantastique initiée par les « grêleux » et les « tempestaires », éveillant parfois les sens ou confinant les êtres : les météores ont toujours séduit et effrayé.

Formant un tout cohérent, cet ouvrage pourra être relu par chapitre au gré des saisons météorologiques. Quel plaisir, une soirée pluvieuse d’automne, que de lire A. Corbin convoquant Bernardin de Saint-Pierre « dans le mauvais temps, le sentiment de ma misère humaine se tranquillise, en ce que je vois qu’il pleut et que je suis à l’abri ; qu’il vente, et que je suis dans mon lit bien chaudement. Je jouis alors d’un bonheur négatif ».

 
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