Compte-rendus de lecture
01/01/2010 Compte-rendu de lecture de : Reflexe eines Umwelt- und Klimabewußtseins in fiktionalen Texten der Romania
Evénement proposé pour le réseau par Karin BECKER
  • Auteur : direction de Cornelia Klettke et Georg Maag
  • Date de parution : 01/01/2010
Description complète :

Reflexe eines Umwelt- und Klimabewußtseins in fiktionalen Texten der Romania.
[« Reflets d'une conscience de l'environnement et du climat dans les textes littéraires de langue romane »].
Eigentliches und uneigentliches Schreiben zu einem sich verdichtenden globalen Problem,
Berlin : Frank & Timme 2010, 478 pp.

Le présent collectif est issu du congrès de l’Association des Romanistes allemands qui s’est tenu à Bonn en 2009. Il réunit 22 contributions sur les littératures romanes (italienne, française, espagnole, brésilienne, chilienne) qui couvrent une période allant des Lumières à l’époque contemporaine. La publication introduit dans la « romanistique » allemande la méthode de l’« éco-critique », une approche née de la recherche anglophone (ecocriticism). Cette méthode d’interprétation cherche à approcher l’œuvre littéraire par « la description physique, biologique et chimique de l’environnement » (p. 11) : il s’agit d’une « critique littéraire intéressée par les questions écologiques » (p. 208). Comme cet environnement est d’emblée conçu comme problématique, les articles se penchent tous sur des poésies et romans qui thématisent des facteurs nuisibles et dangereux, anthropogènes ou naturels. Ce faisant, les contributeurs attribuent aux poètes et romanciers une « conscience de l’environnement » : bien que cette conception ne date que de la deuxième moitié du XXe siècle, l’on pourrait bel et bien trouver dans les textes des époques antérieures une telle critique de la destruction progressive de l’environnement naturel de l’homme (p. 12).

Les deux articles de la première partie sont consacrés à la littérature des Lumières : Roberto Ubbidiente étudie les Saggi politici de Francesco Mario Pagano, qui voit dans le tremuoto de Reggio Calabria (1783) la preuve que l’évolution morale et sociale de l’humanité serait déterminée par une succession de catastrophes naturelles. – Birgit Ulmer analyse le poème La salubrità dell’aria de Giuseppe Parini (1759) qui oppose, dans le style « sublime » de l’ode, le « bon air » de la campagne bucolique à la mauvaise qualité de l’air dans la ville de Milan.

La deuxième partie réunit trois contributions au tournant des XIXe et XXe siècle, moment historique où l’on cherche à harmoniser la science positiviste avec une conception plus holistique de la vie. Cornelia Lüdecke (Deutsche Meteorologische Gesellschaft) esquisse, dans la seule contribution non-littéraire du volume, l’histoire de la néphologie, de la science des nuages, en insistant surtout sur Luke Howard, l’Atlas international des nuages et l’Année internationale des nuages 1896-1897. – Plusieurs articles du collectif seront consacrés aux nuages ; ainsi, l’article suivant d’André Weber, qui analyse le récit, intitulé Sur les nuages, que Guy de Maupassant rédige après son deuxième vol en ballon en 1888. Le petit texte, qui combine le discours scientifique et la description poétique, traduit bien le caractère ambivalent du nuage. – Ensuite, Fabian Scharf étudie de quelle manière l’œuvre tardive d’Émile Zola (notamment Fécondité et Travail) cherche à harmoniser la science et la technique avec la vie humaine et l’environnement naturel. Cette synthèse est au service d’un eudémonisme collectif : c’est la mécanisation du monde quotidien qui permet à l’homme une existence libre, heureuse et naturelle.

La troisième partie du volume, qui est la plus longue, est consacrée à la littérature « après 1970 ». Cette partie se compose de deux sous-parties : la première examine les procédés littéraires qui servent à diagnostiquer les dommages subis par l’environnement, à esquisser des améliorations et à évoquer des contre-images positives. La deuxième sous-partie, en revanche, étudie des œuvres littéraires qui décrivent des « scénarios de catastrophes », d’une manière souvent cynique et défaitiste. Ainsi, le volume oppose la dystopie à l’utopie : les deux sous-parties confrontent un « monde paradisiaque » à une « vision apocalyptique ».

La partie « utopique » commence par l’analyse, proposée par Michele Gialdroni, des récits de voyage que les auteurs italiens écrivent après un séjour en Amérique du Sud (notamment vIn Argentina e Perù de Guido Piovene, 1965-1966) : ils y critiquent le « tourisme de masse » qu’ils opposent au paysage naturel de la cordillère des Andes. – Ensuite, Benedetta Mannino étudie les romans que les auteurs italiens consacrent à leur vie en Allemagne dès les années 1960 : la description de l’environnement et du temps qu’il fait semble d’abord stéréotypée, exprimant des clichés nationaux (l’Italie le « pays du soleil »), mais au fur et à mesure de leur expérience vécue, elle se transforme en connaissance authentique. – Dans l’article suivant, Walter Wagner analyse le radicalisme de « l’éthique de l’environnement » qui s’exprime dans la trilogie Le Labyrinthe du monde (1974-1988) de Marguerite Yourcenar. Elle recourt au discours de la Deep Ecology pour stigmatiser la pollution de l’air par l’industrie chimique, la destruction du paysage par les zones industrielles, etc., en jetant la responsabilité sur le capitalisme, le consumisme et le technicisme. Elle y oppose l’utopie quasi religieuse et romantique d’une vie dans la nature. – Dans le seul article consacré à la littérature espagnole, Rosamna Pardellas Velay étudie le cycle Naturaleza no recuperablex (herbario y elegías) de Aníbal Núñez (1976). Elle insiste sur son thème central, la consommation excessive de la matière plastique et les problèmes de l’élimination des déchets qu’elle entraîne, de sorte que la vie organique est de plus en plus menacée par l’artificiel et le stérile. – Les deux articles suivants se penchent sur la description du paysage industrialisé dans la littérature italienne. Gerhild Fuchs décrit la destruction de la plaine du Pô par une suite ininterrompue de zones suburbaines (megalopoli padana), telle qu’elle s’exprime dans un nombre de textes mi-documentaires mi-fictionnels et notamment dans l’œuvre de Gianni Celati. L’urbanisation crée des « non-lieux » sans identité, dans lesquels l’homme mène une existence sans orientation, toujours manipulé par le discours de la publicité. Plusieurs textes conçoivent une contre-image idéaliste d’un paysage « re-naturalisé », évoqué à l’aide d’un langage mythique ou poétique. – Ensuite, Antonella Ippolito examine le paysage urbain de Naples tel que le décrivent les romans d’Ermanno Rea. La Dismissione (2002) fait le récit du démontage du complexe industriel ILVA à Bagnoli, en inversant la perspective conventionnelle, car l’usine présente une beauté idyllique, et sa destruction n’est pas un retour à la nature, mais l’expression de la mort d’une région. – Les deux derniers articles de la sous-partie « utopique » s’occupent de nouveau de l’Amérique du Sud. Elmar Schmidt considère le roman Un viejo que leía novelas de amor (1989) du chilien Luis Sepúlveda, un militant de Greenpeace. Dans le cadre d’un programme de défrichage, la famille du protagoniste s’installe dans la forêt de l’Amazonie. Après des débuts difficiles, ils apprennent à « vivre avec la jungle », grâce aux conseils de la population indigène. Or, ces « bons sauvages » („ecologically noble savage“) ne représentent pas vraiment un modèle positif opposé à la civilisation, car des indices métatextuels dénoncent le caractère « imaginaire » et « construit » de ce discours. – Finalement, Ingeborg Klettke-Mengel analyse le roman historique Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin (2001), qui évoque la rencontre des Français et des brésiliens indigènes au temps de la colonisation au XVIe siècle. L’île de Villegaignon dans la baie de Guanabara, un lieu stratégique, y paraît d’abord comme un « paradis », avant que les Français ne la transforment en citadelle, hostile à toute vie naturelle et proprement humaine.

La seconde sous-partie, celle consacrée aux « dystopies » évoquant une destruction « apocalyptique » de l’environnement, commence par deux contributions sur le roman Não verás país nenhum (1981) de l’auteur brésilien Ignácio de Loyola Brandão, qui décrit São Paulo après l’effondrement du système écologique. Christoph Schramm (S. 315-327) insiste surtout sur la catastrophe climatique (effet de serre, chaleur mortelle, manque d’eau et de nourriture), due au déboisement de la forêt de l’Amazonie et à l’âpreté au gain du régime totalitaire. Thomas Johnen considère également les autres facteurs nuisibles (déchets, énergie atomique, aliments artificiels) et souligne le caractère pionnier du roman à l’époque de la dictature militaire. – Les trois articles suivants éclairent le rapport difficile entre la nature et la civilisation en prenant pour exemple la relation de plus en plus précaire que l’homme entretient avec l’animal. Tout d’abord, Christina Bertelmann se penche sur le roman Il pianeta irritabile (1978) de Paolo Volponi. Après la destruction de la planète due à différentes guerres mondiales et explosions atomiques, les frontières établies n’existent plus, la vie organique présente une nouvelle dynamique, déclenchée par l’arrogance humaine, de sorte que la nature se venge, en forçant l’homme à redéfinir son identité par rapport aux animaux. – Solveig Kristina Malatrait analyse la métamorphose animale dans le roman Truismes (1996) de Marie Darrieussecq. Ce récit d’une femme transformée en truie pourrait être interprété dans le sens d’une écocritique postmoderne, étant donné que le roman suggère comme causes de la « mutation » l’influence d’une centrale nucléaire et de l’industrie chimique. Finalement, Stefanie Rubenis examine le roman Sirene (2007) de Laura Pugno, qui serait à la fois une dystopie classique, une histoire « cyberpunk », une variante « noire » de la science-fiction et une imitation de la BD japonaise Manga. Pugno imagine, pour un futur apocalyptique, une ville sous-marine où un régime totalitaire élève des créatures féminines, des sirènes, qui résistent aux rayons de soleils devenu mortels à cause du trou dans la couche d’ozone.

Après les parties I à III du volume, qui présentent un ordre chronologique, en étudiant des œuvres datant du XVIIIe au XXIe siècle, on trouve une quatrième partie, une sorte d’annexe, se composant de quatre contributions, lesquelles relèvent d’une méthode différente et se limitent à l’étude du thème du temps qu’il fait. Intitulée « L’écriture météorologique », cette partie est consacrée à un nombre d’œuvres littéraires, dont la langue et le style imitent les phénomènes atmosphériques et qui créent donc une « poétique » ou une « rhétorique » qui reflètent les caractéristiques des météores (au sens ancien du terme : « les choses de l’air »).

Dans la première de ces contributions, Cornelia Klettke analyse le « discours néphologique » du roman La théorie des nuages de Stéphane Audeguy (2005). L’auteur recourt aux théories développées par l’histoire de l’art (Damisch), la philosophie postmoderne (Popper, Serres, Sloterdijk) et l’histoire des sciences (Hamblyn), afin de miner ces discours, d’une manière ironique, par l’ambivalence du récit de fiction. Ainsi, le texte du roman devient lui-même une sorte de nuage : il est nébuleux, trompeur, incertain, de sorte que le titre du roman, qui suggère une approche scientifique, serait, lui aussi, parodique. – Ensuite, Franco Sepe se penche sur le lyrisme tardif d’Andrea Zanzotto, notamment sur son recueil Meteo (1996). Tout comme le temps qu’il fait devient de plus en plus imprévisible, avec le changement climatique global, la poésie elle-même se fait « work in progress », qui doit être réécrit et actualisé, au jour le jour, comme le bulletin météo. – Sabine Zangenfeind consacre un article à la poétisation des éléments météorologiques dans les romans de Francesco Biamonti (L’angelo di Avrigue, 1983, Vento largo, 1991 et Attesa sul mare, 1994). La vie erratique que les protagonistes mènent entre la mer et la côte de la Ligurie se reflète dans la lumière, le vent et les nuages, qui symbolisent leur état d’âme et qui créent une « poétique de l’absence », suggérant le manque d’orientation dans le monde moderne. – Dans le dernier article, Sven Thorsten Kilian étudie les différentes fonctions du motif météorologique dans le roman Come Dio comanda de Niccolò Ammaniti (2006). Il décrit l’échec d’un cambriolage d’une banque, dans un jeu parodique qui combine les clichés discursifs des genres divers. La neige, l’orage, la pluie et les nuages y servent alternativement de décor atmosphérique, de symbole, de moteur de l’intrigue et de modèle d’explication du monde entier.

 
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