Compte-rendus de lecture
05/12/2011 Compte-rendu de lecture de : La Russie et le changement climatique, une nouvelle géographie du froid
Evénement proposé pour le réseau par Martine Tabeaud
  • Auteur : Laurent Touchart
  • Date de parution : 01/11/2011
Description complète :

Au pays du froid

Laurent Touchart est un spécialiste reconnu de la géographie de la Russie et propose un essai « décomplexé » sur le froid, ses contraintes et ses ressources pour les sociétés de cet immense pays. De nombreux séjours dans ces territoires, ont conduit l’auteur à une grande familiarité avec ces cultures. Pourtant il se justifie du ton adopté par Juliette Edmond Adam interposée (écrivant sur la Russie en 1912). Il lui fait dire : [elle] « avait la chance de n’être pas géographe, donc de pouvoir donner librement son sentiment sur l’impossible indifférence devant les grands froids » (p.11).

L’ensemble est présenté avec une grande simplicité dans l’écriture, un style volontairement accessible à tous. Les propos s’appuient pourtant sur une abondante bibliographie scientifique, y compris russe, sur des citations de grands auteurs de la littérature russe, sur des articles de journaux, français en particulier, toutes références présentées en note de bas de page. Les photographies, loin des clichés habituels qui font la part belle aux grands espaces vierges, soulignent l’empreinte de la lutte contre le froid dans les paysages et dans le vécu quotidien des Russes. Dans le cahier central en couleur comme dans les nombreuses photographies en noir et blanc au fil du texte, les images font une grande place aux ciels, neigeux, nuageux, venteux, pollués...

La construction est très rigoureuse . Le premier chapitre intitulé « Le colosse blanc aux pieds rouges » croise septentrionalité et continentalité pour justifier l’exception planétaire de la Russie (le Canada est presque deux fois moins étendu). Les climats y sont caractérisés par la combinaison du froid et du sec et par l’opposition sans transition de l’hiver à l’été avant le retour de l’hiver. La saison froide est la référence. C’est un peu comme le décrit un dicton de Lozère : Neuf mois d’hiver et trois mois d’enfer !

Le second chapitre « Un cadre de vie scandé par l’hiver » brosse le tableau d’un pays où les longs mois noirs et glacés conditionnent la vie individuelle et collective, y compris l’économie. « Le grand pays du gel et de la neige a intégré le combat contre le froid dans sa culture, comme un trait de civilisation, … » (p. 232) Laurent Touchart se fait donc ethno-sociologue pour pénétrer dans l’habitat et l’habiter des izbas rurales comme des appartements des immeubles des seules villes au monde situées au-delà du cercle polaire : Norilsk, Mourmansk et Vorkouta.

Le troisième chapitre « Environnement et climat : le nouveau rôle de la ville russe mondialisée » replace la Russie dans la géopolitique de la dégradation environnementale et du changement climatique. La géographie de la pollution a changé : la détérioration de la qualité de l’air, comme ailleurs, est passée des villes industrielles aux villes tertiaires et leurs cortèges de voitures issus des mouvements pendulaires de travail. En ce qui concerne les grands problèmes internationaux, depuis la chute du mur, la Russie « prend sa part des efforts internationaux à ce sujet ». (p.232).

Laurent Touchart pose sur la Russie un regard distancié, dépassionné, loin des discours d’étrangers déconcertés au point qu’un élément du climat, « l’intensité du froid a souvent été sous-évaluée, sa durée au contraire surestimée » (p. 178). Quant aux conséquences du froid, elles font l’objet de débats contradictoires comme à l’époque communiste entre ceux qui voient clair dans la seule responsabilité du climat et ceux qui proposent des explications relatives aux dysfonctionnements sociaux. La Russie ne laisserait pas les étrangers indifférents, à cause de son passé ? Pas seulement. La signature du protocole de Kyoto a relancé les caricatures. Alors qu’il « n’est pas possible, ni même pertinent, de rayer de la pensée des siècles de lutte contre les terribles froids. Le gel, la longueur de l’hiver, l’intensité du froid ont toujours représenté la principale contrainte de la mise en valeur du territoire russe. Pourquoi condamner avec violence la Russie… ? » (p.231)

Compte rendu de Martine Tabeaud de l’ouvrage
La Russie et le changement climatique, une nouvelle géographie du froid
Laurent Touchart, L’Harmattan, 2011, 269 p.

 
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