Compte-rendus de lecture
12/10/2009 Compte-rendu de lecture de : Le changement en environnement. Les faits, les représentations, les enjeux
Evénement proposé pour le réseau par Hervé Bredif
  • Auteur : Martine Tabeaud (direction)
  • Date de parution : 26/03/2009
Description complète :

Le changement en environnement. Les faits, les représentations, les enjeux.
Ouvrage collectif sous la direction de Martine Tabeaud.
Publications de la Sorbonne, 2009, 148 p., 20 €.

Faut-il avoir peur du changement ?

En ces temps lourds de menaces et de crises, l’ouvrage collectif publié sous la direction de Martine Tabeaud arrive à point nommé. Il fait suite à un colloque organisé par les étudiants du Master 2 Recherche « Environnement et Paysages » de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui s’est tenu en février 2006 à la Maison des sciences économiques. Le livre propose une réflexion à plusieurs voix sur la question du changement en environnement. Pas moins de quinze chercheurs, issus de disciplines variées, provenant à la fois des sciences exactes et des sciences humaines et sociales, avec cependant un fort noyau de géographes et spécialistes de l’aménagement, abordent le sujet sous des angles distincts, en s’intéressant à des objets souvent inattendus et toujours pertinents. Leurs contributions sont regroupées dans trois parties : 1. Les faits ; 2. Les représentations ; 3. Les enjeux.

Les auteurs ont la volonté d’éclairer l’importante et très actuelle question du changement, que celui-ci s’opère par transformation progressive ou bien par rupture ; de surcroît dans un domaine, l’environnement, où cette notion est souvent connotée négativement, tant les êtres humains sont aujourd’hui classiquement assimilés à des perturbateurs des « grands équilibres naturels ». Le paroxysme est atteint avec le changement climatique, celui-ci faisant d’autant plus peur qu’il paraît échapper à toute maîtrise.

Intitulée « Les faits », la première partie de l’ouvrage est introduite par une citation de Mark Twain : « Ce n’est pas tant ce que les gens ignorent qui cause des problèmes, c’est tout ce qu’ils savent et qui n’est pas vrai ». Cinq auteurs la nourrissent de leurs travaux et réflexions. Géographe physicien, professeur à l’Université Haute-Bretagne Rennes II, Hervé Régnauld propose tout d’abord de réfléchir au changement à partir de ce qui constitue à ses yeux l’un des lieux les plus mobiles à la surface de la Terre, à savoir le littoral. Il appuie son raisonnement sur le cas des îles Falkland (Atlantique sud), en s’intéressant aux relations entre évolutions de la morphologie du littoral et aires de nidification de l’avifaune. On retiendra de ce cas aussi dépaysant qu’instructif un résultat de portée très générale : « L’espace nécessaire au fonctionnement d’un système ne se réduit pas à la surface qu’il occupe effectivement, mais comprend l’espace nécessaire à son évolution et à la variabilité spatiale de son fonctionnement futur ». Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Institut d’histoire de l’art et archéologie, Gérard Monnier, souligne quant à lui tout ce que la forme urbaine telle que nous la connaissons aujourd’hui doit à la révolution industrielle et aux machines multiples qui en résultent. Un exemple, parmi d’autres possibles, des changements profonds induits par les ruptures techniques et technologiques. Le texte de Martine Tabeaud, géographe et climatologue, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ose la différence par rapport au consensus quasi-unanime, marqué au sceau du catastrophisme, qui entoure habituellement la question du changement climatique. Pointant les nombreuses et importantes incertitudes – dont certaines « correspondent à peu de chose près aux variabilités thermiques du quaternaire ! », ainsi que les marges d’erreur qui caractérisent plusieurs paramètres et données fondamentales, elle invite à prendre avec plus de circonspection les prédictions des modèles. En tout état de cause, l’auteur souligne que si le changement climatique ne se révèle pas aussi radical qu’on le prétend classiquement, il aura en tout cas donné un sérieux coup de fouet à la prise en compte de la problématique environnementale par de nombreux acteurs et institutions ; de même aura-t-il beaucoup fait en faveur d’une meilleure intégration de la notion de variabilité et d’adaptation au changement, en s’attaquant à l’un des derniers refuges de la notion de stabilité : le climat. Marie-Christine Marinval et Jessica Giraud, de l’Institut d’histoire de l’art et archéologie, interrogent une autre certitude du moment, souvent présentée comme l’autre grande crise environnementale, à savoir l’érosion de la biodiversité. Par le biais de l’archéologie, et plus précisément de l’étude des relations entre les sociétés humaines et le monde vivant, elles suggèrent que ce qui est vécu comme une crise environnementale profonde pourrait bien n’être qu’une « crise des représentations dans laquelle la mondialisation joue sa part, non pas d’uniformisation, mais de mélanges des références ». La contribution de Daniel Peyrusaubes, géographe à l’Université de Poitiers, achève cette partie. Ce spécialiste de Madagascar montre combien la thématique du changement appliquée au climat gagne à être enrichie des observations et témoignages directs des acteurs de terrain, ici des riziculteurs.

Consacrée aux représentations, la deuxième partie de l’ouvrage s’ouvre sur une très belle citation de Lao Tseu « Les choses ne changent pas, change ta façon de les voir, cela suffit ». Quatre auteurs sont convoqués à la barre. Michel Goussot, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris repère les principaux changements à l’œuvre dans l’évolution des relations internationales. Le passage d’un monde dominé par des États souverains à un monde multipolaire, marqué de surcroît par la montée en puissance d’acteurs et de flux transnationaux constitue selon lui une rupture de première importance ; l’auteur relève également la survenue de risques nouveaux – terrorisme, pandémie, dérèglements écologiques, avant de conclure que l’irruption des technologies de la communication et de l’information change globalement notre rapport au temps, même si de fortes différences culturelles demeurent sur ce point. Aurélie Tissier, spécialiste de questions d’aménagement, s’intéresse, quant à elle, au regain d’intérêt des populations et des responsables publics vis-à-vis du fleuve, en l’occurrence, la Seine. Elle insiste sur le fait que cette reconquête du fleuve et de ses berges doit réussir à concilier des attentes sociales tournées vers l’écologie et le cadre de vie de proximité avec le maintien et le développement d’activités économiques portuaires dont on ne saurait négliger la contribution au développement durable de la métropole francilienne dans son ensemble. « Y’a plus d’saisons », le titre de l’article de Martin de La Soudière, est à lui seul une invitation à ne pas céder à l’habitude qui consiste à déplorer le désordre météorologique. En lisant ce socio-anthropologue féru d’histoire, on comprend que « nous n’avons jamais été prêts à supporter les excès et les caprices du temps », au point d’y chercher hâtivement des interprétations à connotation religieuses plus ou moins marquées. Historien de la géographie, Yann Calbérac envisage pour sa part ce qu’il considère comme une figure majeure et caractéristique des pratiques du géographe : le terrain. Il parvient à montrer comment le terrain, en dépit de l’apparition de nouvelles techniques d’investigation et de nouvelles thématiques, perdure dans la pratique du géographe, au point d’en constituer un véritable invariant.

« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots ». Par cette citation, Jean Jaurès accompagne la troisième partie de l’ouvrage. Dédiée aux « enjeux », elle réunit les contributions de cinq auteurs. Les deux premiers textes traitent du changement climatique. Président de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), Paul Vergès estime que « la dérive du climat, devenue aujourd’hui incontestable, annonce des désordres colossaux qui refaçonneront aussi bien la géographie de la planète que les relations entre les États ». Il plaide en faveur d’une stratégie nationale de l’adaptation, qui nécessite des moyens à la hauteur des enjeux. Ingénieur environnement à l’Atelier d’urbanisme de la Ville de Paris (Apur), Julien Bigorgne, explique comment son organisme de tutelle tente de réduire très concrètement les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du territoire parisien, en s’attaquant au secteur résidentiel et tertiaire et aux importantes marges de gains qu’il présente dans ce domaine. Les trois textes suivants s’articulent autour de la notion de qualité. Mohsen Hassine s’appesantit sur les transformations induites par l’essor des préoccupations environnementales dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Prenant le cas de la pose de canalisations en milieu urbain, il estime que la pratique habituelle des tranchées présente beaucoup trop d’inconvénients directs et de « coûts sociaux cachés » ; selon lui, les donneurs d’ordre doivent absolument encourager le recours à des pratiques alternatives. Gabrielle Mc Dwyer, pour sa part, observe les changements opérés par le concept de H.Q.E. (Haute Qualité Environnementale) dans la manière dont sont aménagées les zones d’activités. S’appuyant sur la création d’un parc d’activités dans la ville nouvelle de Sénart, en Seine-et-Marne, elle constate que les grandes entreprises étrangères s’avèrent très attentives à la dimension environnementale et sont demandeuses de démarches de type H.Q.E. Pour autant, plusieurs freins restreignent la diffusion de ces dernières : contraintes administratives, surcoût divers et difficultés à trouver certaines compétences en France. Enfin, Olivier Etcheverria, maître de conférences à l’Université d’Angers, invite à réfléchir aux raisons qui fondent « le goût de terroir », afin de mieux comprendre sous quelles influences celui-ci peut être amené à évoluer. Il soutient que le « goût du terroir est une construction socioculturelle mouvante, au croisement du comportement alimentaire individuel, lié au rapport réel et idéel à la campagne et à la nature, et de la diffusion dans l’inconscient collectif des théories marketing et publicitaire qui véhiculent des images et des idéologies ».

On l’aura compris, la matière offerte par ce petit livre est d’une grande richesse. La confrontation des différents regards convainc de la fécondité du thème retenu et de l’intérêt d’en explorer plus avant ses figures et déclinaisons multiples. Après sa lecture, la « crise écologique », telle qu’elle est communément exposée, avec sa cohorte de catastrophes plus sinistres les unes que les autres, présente un visage moins angoissant et finalement plus familier. Certes, les menaces existent, certes, l’avenir est incertain, certes, des choses sont condamnées à disparaître de manière irréversible ; et cependant, tout laisse à penser que des invariants par variation existent, que les systèmes peuvent, dans une assez large mesure, s’adapter et se recomposer, que de l’inédit jaillira, à l’impromptu, dès demain, toute la question étant de savoir si nous saurons ensemble l’utiliser à dessein, pour un mieux-être global. Aussi, et de connivence avec les auteurs de ce livre stimulant, souvenons-nous de cette pensée tirée du Yi Jing (Le livre des Changements, traduction de Javary et Faure (2002)) : « La vie qui engendre la vie, c’est cela le changement ».


Hervé BREDIF
 
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