Les prédictions des "saltigués" pour l'hivernage en cours se font en mai et novembre de chaque année. En dehors du temps sont annoncés les grands évennements (bons et mauvais) qui vont se dérouler au cours de l'année au Sénégal. La nouvelle génération y croit de moins en moins mais il arrive parfois que des leurs affirmations se concrétisent. Par exemple en 2002, ils avaient prédit une catastrophe immémorable pour le Sénégal et quelques quelques mois plus tard, le "Diola" a eu lieu

SEANCE DE DIVINATION / FATICK - Bains de sang, mort d’hommes, conflits,… : Les Saltigués prédisent un tableau sombre pour le Sénégal (Envoyé spécial)

Comme à l’approche de chaque hivernage, les grands maîtres voyants sérères, appelés Saltigués, membres de l’Association des guérisseurs de la région de Fatick dénommée Malango, ont encore communié avec la transcendance. Dans le cadre de leur Xoy, une séance publique de voyance et de prédiction, ils ont informé l’opinion publique nationale sur les grands évènements de l’année à venir. Décrivant, ainsi, les péripéties de l’hivernage, les Saltigués ont prédit un hivernage pluvieux avec des récoltes abondantes. Parmi ces évènements, figurent aussi des catastrophes, des bains de sang, morts d’hommes, entre autres. Mais pour chaque mauvais présage, les maîtres voyants ont prescrit une conduite à tenir pour éviter les catastrophes ou le pire.

«Je rends grâce à Dieu, au levant, au couchant, aux esprits de cette terre d’Afrique et du monde. Que nos cœurs se rapprochent, ainsi que nos mains. Le cercle d’union que nous formons nous relie au passé et nous prolonge vers l’avenir. Nos grands parents le faisaient, nous sommes en train de le faire aujourd’hui, pour permettre aux générations futures de perpétuer ce rituel. Rappelons-nous la grandeur de ce symbole, inspirons-nous de la profondeur de ce geste et restons convaincus que, main dans la main, nous serons capables de relever tous les défis.» C’est en ces termes que le président de l’Organisation internationale pour la promotion des médecines traditionnelles (Prometra), Dr Eric Gbodossou, a ouvert le bal pour que l’ensemble des maîtres voyants ou Saltigués, membres de l’Association des guérisseurs de la région de Fatick dénommée Malango, réunis ce week-end, dans le cadre du Xoy de 2008, qui informent l’opinion par leurs prédictions des évènements à venir et sur la qualité de l’hivernage, l’abondance ou non des récoltes…

BON HIVERNAGE, RECOLTES EN ABONDANCE

Il est 22 heures. Massés dans une enceinte d’une superficie d’environ 150 m2, circonscrite par trois bâches multicolores supportées par des tubes en fer, et une tribune officielle en dur couverte de zinc sous laquelle des chaises de couleur verte sont arrangées, les Saltigués, les yeux hagards, attendent impatiemment l’appel du vice-président de l’Association Malango, Hamath Diop. Ce qui n’a pas tardé.

22 h 10, le vice-président, habillé d’un grand boubou de couleur bleu, donne le signal. Ainsi, Amy Faye, une Saltigué de Niakhar, toute drapée dans un boubou de la même couleur que celui du vice-président de «Malango», se jette sur la piste et commence à se réchauffer.

Un homme en grand boubou, bonnet vissé sur la tête, prend le sens contraire. C’est le Saltigué de Sangay, Latyr Ndiaye. Ce dernier, une tasse à jeter à la main gauche et un chiffon à celle de droite, asperge de l’eau bénite sur la circonférence de l’«arène». Et ce dernier de lancer:«A Dakar, il y aura des catastrophes. Si l’on n’y prend garde, il y aura un bain de sang à Dakar.»

Dix autres minutes après, Diène Ndiaye, tout de blanc vêtu, prend le micro pour souhaiter la bienvenue aux Saltigués ainsi qu’à tous les invités. Mais avant de boucler son allocution, Jean Ngom, Saltigué de Niakhar, Modou Faye de Ndiob et Boucar Diop de Malango commencent à harmoniser leurs mouvements pour communier avec la transcendance. Comment? Par le rythme ponctué par la parole. Mais aussi, par la puissance du mouvement, du symbole, notamment les cordes, les gris-gris, les cordes avec des nœuds multiples et des taches rouges. En fait, rien n’est laissé en rade. Car, au-delà de l’aspect folklorique, le Xoy est une science basée sur une autre logique où les gens parlent avec des forces surnaturelles avec un rythme spécial. De manière unanime, ces Saltigués, qui se sont succédé au micro, ont tous prédit un bon hivernage, des récoltes en abondance.

Mais, d’autant que le Xoy permet aussi d’informer sur les évènements importants, tels que les conflits armés internes ou externes au Sénégal, la fréquence des accidents sur certaines voies spécifiques, les différentes épidémies éventuelles de l’année, ces hommes au masque ne se sont pas limités à l’hivernage.

«ON PRESAGE LE PIRE POUR LA CAPITALE»

«Vous dites que l’hivernage sera pluvieux, les récoltes seront abondantes, mais vous n’avez pas dit ce que j’ai vu à Dakar. Au nom du Ciel, on présage le pire pour Dakar», annonce la cadette des Saltigués, Amy Faye de Niakhar. Les bras levés vers le ciel, la dame marque le pas. Plante la lance devant le tambour-major et soutient:«J’ai vu deux cadavres dont leur meurtrier est d’un rang élevé dans les sphères étatiques. Prions pour que la paix règne au Sénégal. Car, d’après ce que les esprits m’ont soufflé, l’heure est grave. Si les gens n’y prennent pas garde, il risque d’avoir un bain de sang.» Aussi, souligne Amy Faye :«Il y a trop de vacarmes entre Diourbel et Touba.»

Maye Diatta de Ngayokhème lui emboîte le pas. «Il y aura un bon hivernage. Mais les premières pluies seront accompagnées d’un vent très fort qui peut détruire des maisons», prédit-elle. Et d’ajouter :«Il y a de l’électricité dans l’air!» Dans tous ses états, Khane Diouf de Diadiack s’écrie, bande les biceps et se saisit de la lance :«Attention aux insectes granivores et les conflits qui risquent d’éclater dans les villes.»

UNE ETOILE QUI QUITTE DAKAR POUR…TOUBA

Dans un formule imagée, la dame de fer du centre Malango renchérit:«Et cette étoile quittant Dakar pour Touba, accompagnée d’un vaste mouvement de foule. Euh… Attention!»

Un autre Saltigué, Dioumacor Ngom de Sassakh, garantit que des insectes survoleront le Sine, mais ils n’y occasionneront aucun dégât.

Les Saltigués ont aussi prédit beaucoup de fièvre chez les enfants, pendant l’hivernage. Ils indiquent qu’il y aura, par ailleurs, des maladies diarrhéiques. Aussi, ils ont prescrit des racines d’arbres à mettre dans les canaris pour atténuer ces maladies.

Effleurant le problème casamançais, les Saltigués ont estimé que l’implication des guérisseurs sérères contribuerait à apporter des solutions pacifiques.

RISQUES DE BAINs DE SANG DANS LA CAPITALE

Ils ont passé en revue les problèmes politiques. Certains ont prédit, pour des villes comme Dakar, des risques de bains de sang. Mais, ils annoncent qu’ils vont rentrer dans les pangols pour essayer de prier, afin que la paix règne. A propos des sacrifices, ils demandent à ce que les pères de familles en fassent deux types : le premier consiste à donner en aumône un paquet de sucre et 7 m de tissu percale. Le second consistera à préparer trois bols de lakh. Les bols de lakh doivent être disposés au milieu de la maison pour que tout le monde formule des prières avant de les donner en aumône. Avant de boucler la première partie, le vice-président de Malango a convié les prêtresses de Rufisque et de Yoff à venir communier avec la transcendance. Seynabou Diagne, de Rufique et sa clique, toutes habillées en vert olive, quittent leur tente pour venir esquisser des pas de «ndawrabine». Dix minutes leur suffisent pour céder la piste à leur sœurs de Yoff, Bineta Ndir et Cie. Dans des camisoles de couleur orange, ce groupe, d’une vingtaine de femmes, envahit l’enceinte en file indienne. Sous les backs de leur «Mama Ndiaré», leur totem, les femmes cassent la baraque. Dans une ambiance folle, Bineta et sa bande commencent, une à une, à tomber en transes. Comme des saltimbanques, ces dames font des pirouettes. Il a fallu qu’on leur applique des bains sacrés pour qu’elles retrouvent leurs esprits.

MAINTIEN DES PREDICTIONS DE LA VEILLE

3 h du matin. La soirée du samedi prend fin. Dimanche, de 11 h à 14 h, les Saltigués, devant les autorités politiques, absentes la veille, ont réitéré tout ce qu’ils ont dit samedi soir. Ainsi, chacun en ce qui le concerne -l’adjoint au gouverneur de Fatick, représentant du président du Conseil régional- va certainement rendre compte à son supérieur hiérarchique. par Dialigué FAYE