Brèves d'informations
06/06/2005 Geographie Manteau neigeux et tourisme hivernal dans les Alpes
Les savoyards et l’or blanc

Les Alpes sont réputées pour leur enneigement abondant et de bonne qualité que viennent chercher des touristes du monde entier. Or depuis une dizaine d’années, la neige n'est plus toujours au rendez-vous. Scientifiques, médias s'intéressent donc à la disparition de "l'or blanc" surtout à basse altitude, en dessous de 1 000 m mais aussi en moyenne altitude entre 1 000 et 2 000 m. Quelle analyse font les acteurs locaux de cette nouvelle donne ? C'est la question à laquelle il est tenté de répondre à partir d'exemples pris en Savoie, région particulièrement intéressante car elle justapose des massifs de moyenne altitude (les Bauges), de haute montagne (Vanoise, Beaufortain, Grandes Rousses…) et des vallées : la Tarentaise et la Maurienne.

La baisse récente de l’enneigement dans les Alpes françaises

La formation de la neige est liée à une condensation progressive en air froid ; elle requiert à la fois une forte humidité et des températures assez basses. Les chutes de neige les plus abondantes s’effectuent entre +2°C et –2°C. La décroissance de température avec l'altitude augmente donc la fréquence des chutes de neige. Dans les Alpes, à partir de 3 500 m, la neige constitue la quasi-totalité des précipitations ; la moitié vers 2 000 m et moins d'un quart vers 1 000 m.
La persistance de neige au sol dépend pour un même massif et à altitude égale, de l’exposition, de la température, de la structure du manteau nival, et de la présence ou non d’un couvert arboré. Dans les Préalpes, la neige recouvre le sol 3-4 mois par an à 1 000 m dans le Chablais et moins de 3 mois dans le Vercors. Dans la haute montagne intra-alpine, plus froide, le manteau tient plus de 6 mois à Val d’Isère (Haute Tarentaise), presque autant à l’Alpe-d’Huez et 4 à 5 mois, vers 1 500 m, en Briançonnais et en Queyras. En dessous de 900-1000 m le manteau est sporadique et indigent alors qu'au-dessus de 2000 m il se maintient toute la saison froide. A échelle fine, la tenue du manteau nival dépend aussi de l'exposition au soleil et au vent. Les contrastes de versant opposent l’adret ensoleillé et l’ubac où le soleil est rare en hiver. Enfin, le vent redistribue la neige fraîche depuis les crêtes ou les croupes vers les creux topographiques. L'épaisseur observée peut donc s’éloigner sensiblement de la simple épaisseur cumulée des chutes. Au total, un enneigement moyen est assuré à partir de 1 200 m en hiver (décembre à avril) dans les Alpes du nord. Cette limite permet en principe les activités touristiques liées à la neige.
Les montagnards observent une baisse générale de l’enneigement moyen en basse et moyenne altitudes où il pleut plus qu'il ne neige. La presse (Le Monde par exemple) se fait l'écho de ce constat depuis une dizaine d'années. Le 16 janvier 1990, M. A. Rendu titre : « Privées de neige et incapables d’attirer une nouvelle clientèle. Les stations de ski en panne". Le 27 décembre 1996, C. Francillon propose un article sur « Les stations de moyenne montagne sauvées par le retour de la neige ». Le 2 janvier 1998, parait « Moins de neige à basse altitude » où le réchauffement global est explicitement rendu responsable de la baisse de l'enneigement. Le 3 février 1998, P. le Hire récidive dans « Plus de gaz à effet de serre égal moins de neige dans les Alpes et les Pyrénées ». Le 25 janvier 2001 P. Revil écrit : « jamais l’or blanc n’a aussi bien porté son nom. Et la menace de le voir plus rare, pour cause d’effet de serre, ne peut qu’en accroître la valeur » dans un article intitulé « Les stations de sports d’hiver des Alpes redoutent le réchauffement climatique ».
Les scientifiques parlent d’un réchauffement inquiétant du climat qui pourrait atteindre 2 à 6°C au milieu du XXIe siècle. A ce jour, l’année la plus chaude depuis 1860 a été 1998, et neuf des dix années les plus chaudes sont postérieures à 1990. La tendance des températures moyennes annuelles planétaires est établie à +0,6 ±0,2°C/siècle avec une confiance supérieure à 99% (IPCC, 2001). Ce réchauffement n'épargne pas la France. Les températures minimales (de +0,7 à +1,7°C/siècle) se sont plus réchauffées que les maximales (de -0,1 à +1,3°C/siècle). Le réchauffement est maxi dans le sud-ouest du territoire. Dans les Alpes, les minimales et les maximales sont en hausse moyenne de + 1°C. Cette tendance transparaît dans les années récentes : en 2000, + 2 à 3°C en Savoie, en 2001, +4°C en Haute Savoie. De plus, l'IPCC annonce que le pire reste à venir avec une hausse en Europe entre + 1,5 et + 4,5°C, chiffre (3°C en 2100) confirmé par Météo France.
Le réchauffement planétaire mesuré depuis 1880 n'excède pas, pour le moment, la variabilité climatique naturelle (variabilités pluriséculaires type Petit Age de Glace, variabilités pluridécennales type Oscillation nord-atlantique). La hausse récente des températures est donc avérée, mais au-delà de quelques décennies, les scénarios sont incertains. Y-aura-t-il encore de la neige dans les Alpes dans 50 ans ? Le Centre d’Études de la Neige de Grenoble tente d'établir des scénario prospectifs malgré le manque de longues séries stationnelles de données (col de Porte à 1320 m depuis 1960) et l'hétérogénéité du manteau.

Le manteau neigeux d’une hauteur de 1,5 m en 1960 fin février passe à moins de 1 m en 2002, soit - 50 cm en 40 ans et une baisse moyenne de 0,6 cm par an ! De plus la neige reste moins longtemps au sol.

Le réchauffement attendu de l’ordre de 2°C en hiver influencera l’enneigement des massifs montagneux, surtout en basse et moyenne altitudes. A haute altitude (au-dessus de 2 500 m environ), les conditions futures seront suffisamment froides pour que l’enneigement ne soit touché qu’à la marge : début un peu retardé, fonte légèrement plus rapide (une douzaine de jours en moins) et encore, puisque le couvert neigeux à cette altitude sera en moyenne plus conséquent qu’aujourd’hui. En revanche, en dessous de 2 500 m les températures moyennes seront « trop » douces, la pluie remplacera la neige et le manteau sera éphémère. C'est ce qui est observé actuellement : augmentation des chutes de neige en haute altitude et diminution en basse altitude.
A l'échelle des massifs, les prévisions du CEN sur l’enneigement s'appuient sur des simulations numériques (modèle CROCUS-SAFRAN) divisant les Alpes en 23 massifs "homogènes du point de vue nivologique". La situation moyenne actuelle à 1 500 m montre que l’enneigement est fort dans les Préalpes du nord (plus de 170 jours par an) et diminue en allant vers les massifs internes et le sud-est (avec 140 à 100 jours par an). La simulation à la même altitude en 2030 pour une hausse thermique de 1,8° C présente une diminution de longévité du manteau de l’ordre d’un mois et une réduction d'épaisseur de l'ordre de la moitié.

Les Alpes du sud, du Dévoluy au Queyras accusent une diminution de 30%, les trois massifs les plus méridionaux (Alpes azuréennes, Ubaye, Mercantour) une diminution de plus de 40%. En Savoie, la baisse n'est que de 20 à 25%. En Vanoise et Haute Tarentaise, la durée moyenne d’enneigement à 1 500 m, passera de 162 jours par an en 2002 à 125-130 jours en 2030 soit une perte de plus d’un mois ! L'arrivée tardive des chutes de neige et la fonte plus précoce réduira la saison de mi-décembre, voire fin décembre, jusqu’à début avril. Ces moyennes n'excluent pas, en 2030, à 1 500 m, des saisons hivernales dépourvues de neige jusqu’en janvier et à partir de mars. Les conséquences économiques seront très sévères, si la neige manque pendant les vacances scolaires. Les hivers 2001 et 2002 ont préfiguré ce qui sera « banal » en 2030-2050.
Outre la durée d'enneigement, la remontée de la limite pluie-neige lors des précipitations peut brutalement faire fondre le manteau neigeux. A titre d'exemple le 6 janvier 2001, cette limite pluie-neige a atteint près de 3 000 m d’altitude ! Or, quand les températures sont douces, les chutes de neige en haute altitude sont plus abondantes mais seule la haute montagne s’enneige. Ainsi, le 6 mai 2001, la hauteur de neige mesurée par la station automatique Nivôse à 2 940 m dans les Écrins dépasse 5,30 m : c’est le record depuis sa mise en service en 1983. Cette mesure ponctuelle concrétise un fait général : un enneigement de haute montagne rapidement important en octobre et qui s’accroît ensuite régulièrement jusqu’à début mai. Les cumuls « 2001 » figurent parmi les 2 ou 3 plus fortes valeurs enregistrées depuis 40 ans, les années de référence étant souvent 1977 et 1978. A Chamonix, le cumul de 1 067 mm représente même un record depuis 1935 (CEN).

La durée d’enneigement, qui va diminuer de 25 à 30 % à 1 500 m d’altitude d'ici 2030 en Savoie, sera manifeste en début et fin de saison. En adret, le manteau neigeux n’atteindra 20 cm qu'un an sur deux, entre début janvier et début mars ; c'est-à-dire que les domaines de moyenne altitude n’ouvriront qu’une année sur deux au coeur de la saison ! Aux Aillons, par exemple, les pistes les plus élevées du domaine skiable ne seront enneigées qu’une année sur deux et bénéficier de 40 cm de neige supposera d'attendre début mars ! Ce constat concernera toutes les stations de moyenne altitude en Savoie, excepté Val d’Isère et Val Thorens.
En ubac, la situation sera moins catastrophique. L'enneigement atteindra 20 cm sept années sur dix en 2030 à 1 500 m de janvier à fin mars, 40 cm fin janvier et février. Actuellement la neige est toujours présente en février, en ubac à 1 500 m alors qu’elle manquera, en 2030, 1 année sur 3 ! Le site nordique de Peisey-Nancroix devra réduire sa durée d'activités. Les domaines de Villaroger ou de Montchavin–Les Coches subiront les effets inquiétants du manque d’enneigement, en contrebas de leur domaine.
En conclusion, la baisse de l’enneigement en basse et moyenne altitudes dans les Alpes et notamment en Savoie, est une réalité. Même si cette baisse, depuis le début des années 1990, reste contestée quant à son origine par certains scientifiques, les chercheurs de Météo France et du CEN l’associent depuis 5-6 ans, au réchauffement du climat planétaire. Il ne fait plus aucun doute que la hausse thermique va s’accentuer dans les décennies à venir : un réchauffement global inégalé influencera l’enneigement des Alpes françaises en dessous de 1 800-2 000 m. Sachant qu'avec 10-20 cm de neige, on obtient un "effet blanc", qu'avec 20 à 40 cm de neige, les conditions sont « acceptables » pour diverses activités, et qu'au-delà de 40 cm elles sont « optimales », comment les acteurs locaux (communes, sociétés publiques ou privées, associations …) s’adaptent-ils aux difficultés d’enneigement actuelles et futures ?

Quelle adaptation des acteurs locaux savoyards à la fin de « l’or blanc » ?

A partir d’exemples précis en Tarentaise, il apparaît que les solutions apportées par les acteurs locaux varient selon les sites et l'histoire des stations Celle-ci peut se résumer en quatre phases, auxquelles correspondent quatre générations de stations de montagne.
La première génération est celle des villages de montagne qui se sont équipés, avant la Seconde Guerre mondiale, de remontées mécaniques, de quelques logements locatifs et d'hôtels. D’altitude souvent peu élevée, donc à faible enneigement, ces stations sont souvent de taille modeste (Bourg-Saint-Maurice, Moûtiers, Albertville), même si certaines, comme Chamonix, sont des centres touristiques de premier ordre. Dans les années 1950, lors de la démocratisation des sports d’hiver, ces stations étendent leur domaine skiable. Mais une deuxième génération de stations (Val d’Isère, l’Alpe d’Huez), se met en place plus haut dans les alpages. Les remontées mécaniques y sont reliées entre elles, mais des ruptures existent dans le domaine skiable, la circulation automobile occupe encore une place importante. Avec le boom des vacances d'hiver, dans les années 1960, naissent les stations de troisième génération. Elles sont entièrement intégrées : les déplacements des automobiles, des piétons et des skieurs sont rigoureusement séparés. Les immeubles, disposés en arc de cercle délimitant un front de neige, ont un accès direct au domaine skiable (La Plagne, Les Arcs, Tignes, La Rosière, Courchevel, Val Thorens…). Souvent situées à haute altitude, ces stations n’offrent qu’un choix limité d’activités et l’urbanisation, voire le bétonnage a été critiqué : la station des Ménuires fut même surnommée « Sarcelles sur neige ». Ce type de stations est peu à peu supplanté par une quatrième génération. Situées vers 1 400 m, donc plus bas, elles (Valmorel, Montchavin–Les Coches, Peisey-Valandry, Sainte-Foy-en-Tarentaise) combinent un domaine skiable étendu et continu, des activités alternatives d'hiver et d'été (tennis, randonnées, ou VTT), et un habitat qui se veut plus traditionnel, même s’il est souvent stéréotypé.

Le rejet en altitude des logements touristiques (hôtels, résidences secondaires …), aménagements du domaine skiable, lieux d’activités liés à la neige (pistes de luge, de ski nordique, de chien de traîneau …) est un phénomène ancien et général. Déjà en 1950, la commune de Bourg-Saint-Maurice regroupait toutes sortes d’activités : ski de fond, ski alpin, compétitions de chien de traîneau et de ski joering (skieur traîné par un cheval), randonnées en raquettes … près du village (à 800 m) et au hameau de Millerette–les Granges (1 200 m). En 1968, un promoteur privé, la Société de la Montagne de l’Arc (SMA) bâtit des infrastructures à plus haute altitude dans les limites communales dénommées Arc 1600. L’ancien domaine skiable des Millerette–les Granges est détruit. Ce phénomène de « rejet en altitude » se généralise à l’ensemble de la Tarentaise. Les communes cherchent à une altitude « raisonnable », au-delà de 1 400 m de bonnes conditions d’enneigement (La Plagne, Les Arcs, Tignes, Valmorel, La Rosière). Pourtant les dépenses de construction de nouveaux logements se facturent en dizaine de millions d’euros pour un seul complexe hôtelier. Agrandir un domaine skiable en haute altitude suppose d'acheter des remontées mécaniques, or le prix d'un téléski est de 20 000 euros environ, plus d’1 million d’euros pour un télésiège ou une télécabine.

Certaines communes se sont simplement raccordées à un domaine skiable de haute altitude. Tel est le cas de Villaroger, où le domaine à plus de 1 200 m est raccordé aux Arcs via deux télésièges. Il en est de même à Val d’Isère où le domaine skiable se trouve à plus de 1 800 m, altitude suffisante pour un bon enneigement hivernal des pistes. Les stations font donc face différemment aux problèmes d’enneigement selon qu'elles sont en haute altitude (supérieure à 1 800 m) sans problème d'enneigement (La Plagne, Les Arcs, Tignes…), en moyenne montagne mais rattachées à des domaines de haute altitude (Villaroger rattachée aux Arcs, ou bien Montchavin–Les Coches reliée à La Plagne) et les stations de moyennes montagnes qui ne sont pas dotées de hautes altitudes à proximité (Les Aillons ou La Féclaz dans le massif des Bauges).
Une autre manière de s'adapter consiste à réduire la durée d'ouverture du domaine skiable. Un domaine skiable « moyen » de Tarentaise vers 1 600 m (type Les Arcs), ouvre de mi-décembre à fin avril. Deux exceptions, Tignes et Val d’Isère, qui ouvrent de fin novembre à mi-mai, car leur domaine skiable s'étend sur des glaciers jusqu'à 3 000 m. Bénéficier d'un tel dénivelé permet bon an mal an de respecter le calendrier d'ouverture de la station (Les Arcs, La Plagne, La Rosière). En revanche, plus bas en altitude, les périodes de fonctionnement sont bouleversées par le manque d’enneigement ; les acteurs locaux sont obligés d’ouvrir plus tard et/ou de fermer plus tôt. En Tarentaise, durant l’hiver 2001-2002, Villaroger a ouvert son domaine du 29 décembre au 7 avril alors que Les Arcs fonctionnait du 15 décembre au 28 avril. Montchavin–Les Coches a fermé le 14 avril 2002, soit 2 semaines avant La Plagne, à cause de l'absence de neige en dessous de 1 800 m. Lorsque les stations sont reliées à des domaines de haute altitude (Villaroger, Champagny-en-Vanoise, Montchavin–les Coches, Peisey-Nancroix, ou Bourg Saint Maurice), elles s'alignent sur la durée d'ouverture de la station la plus élevée. La commune de Brides-les-Bains, dans la vallée de Bozel, à 600 m, a construit en 1992 une télécabine de 6 km la reliant à Méribel-les-Allues à 1 500 m ! L’atout majeur de ces stations de Tarentaise est de bénéficier de sommets proches à 2 500-3 000 m.. Mais en leur absence, comme dans les Bauges, la durée d'ouverture se réduit ; au cours des deux derniers hivers, Margeriaz a ouvert trois mois (janvier à mars), Aillon-station, seulement deux mois, tout comme la Féclaz.
Les sites de ski de fond sont également touchés. La commune de Peisey-Nancroix possède le plus important circuit de ski de fond de Tarentaise avec 40 km de pistes à 1 400 m, en ubac. En 2000-2001, les 20 cm de neige requis pour cette pratique ne couvraient le sol, que de mi-janvier à début mars et de fin décembre à mi-mars en 2001-2002. A Bourg-Saint-Maurice, le circuit de ski de fond de 15 km n’a ouvert ni 2001 ni 2002.
Non seulement la station ouvre moins longtemps mais toutes les pistes ne sont pas accessibles. Aux Arcs, par exemple, en 2001, le début d'hiver difficile faute de neige (20 cm à peine à 2 000 m), a conduit à réduire le domaine skiable à moins de 15 % en décembre (3 km de pistes sur les 200 km).
Tous les événements sportifs subissent donc le diktat de l'enneigement. Chaque année, par exemple, une compétition de ski joering a lieu à Bourg-Saint-Maurice vers la mi-février. Cet événement nécessite 20 cm de neige pour que les chevaux puissent courir en toute tranquillité. Depuis quelques hivers, cette épreuve a dû être retardée. En 2001, elle s’est déroulée dans des conditions difficiles avec moins de 10 cm de neige et en 2002, elle a été déportée à plus haute altitude sur le circuit de ski de fond de Courbaton à 1 500 m.

Le développement d'infrastructures en plus haute altitude est la solution la plus aisée pour une commune mais elle n'est pas possible partout puisque les politiques publiques limitent les constructions qui nuiraient à l’environnement. Ponctuellement, pour des événements sportifs ou ludiques, il est possible de transporter de la neige fraîche ramassée en haute altitude. Ce procédé s’effectue régulièrement à partir du glacier de la Grande Motte à Tignes, où des bulldozers raclent la neige superficielle véhiculée par hélicoptère vers les sites d'activités. Le coût fait réserver ces méthodes aux compétitions nationales ou internationales.
La solution, utilisée par 90% des stations savoyardes, est l’utilisation de la neige de culture grâce aux canons à neige. En basse et moyenne altitudes, ils servent, le plus souvent, à enneiger les pistes de retour aux stations (Pralognan-la-Vanoise, Montchavin–Les Coches, Montalbert, Peisey-Valandry, Les Aillons ). Dans les stations de haute altitude comme La Plagne, Les Arcs, La Rosière, Tignes ou Val d’Isère… ils permettent de prolonger la saison. Avec l’invention de l’enneigement artificiel, les acteurs locaux savoyards pensent avoir trouvé la solution miracle. Pourtant, la neige de culture suppose un froid suffisant, un rapport de mélange air-vapeur d’eau le plus loin possible de la saturation (brouillard), des volumes d’eau considérables (d'où la démultiplication des réservoirs), et l’absence de vent. Il n’est pas possible de fabriquer de la neige par tous les temps et c’est très cher ! Les enneigeurs Turbines, autonomes, mobiles et gros producteurs de neige à partir d'eau sous pression coûtent environ 38 000 euros . Quant aux enneigeurs fixes le long des pistes ils coûtent environ 12 000 euros. Donc, enneiger 1 hectare de piste coûte 152 500 euros ! A l’achat des canons s’ajoutent leur installation, leur entretien et leurs consommations en électricité et en eau. Si leur usage doit couvrir toute la saison, la consommation en eau est exorbitante. Aux Ménuires, 300 canons à neige arrosent 100 ha sur 450 ha, en consommant plus de 300 000 m3 d’eau par saison !

Pour les stations de sports d’hiver, le développement du parc à canons à neige est une priorité malgré des investissements colossaux : Villaroger, 1,5 millions d’euros pour 10 ha de pistes, Peisey-Nacroix 800 000 € pour 5 ha, Champagny-en-Vanoise près d'1 million d’euros; Les Aillons 1,5 millions d’euros, La Féclaz 1 million d'euros). Toutes les stations de sports d’hiver de Savoie et même les plus importantes, se dotent ou vont se doter par centaines de ces canons. Or, le risque est sérieux de voir des dizaines de millions dépensés pour rien ou presque par les acteurs locaux. A quoi serviront ces canons à neige, non utilisables une grande partie de l’hiver à cause de températures « trop » douces en basse et moyenne altitudes ?

L'investissent est lourd et une succession de mauvaises saisons engendre un sévère manque à gagner pour les stations, les commerçants, les hôteliers. Comme chaque commune est prisonnière de la concurrence avec les stations voisines, les investissements démesurés sont fréquents. M.A. Rendu dans le Monde du 16 janvier 1990 intitulé « Privées de neige et incapable d’attirer une nouvelle clientèle. Les stations de ski en panne », fait parler les acteurs des Sept-Laux. « En 1988 j’avais perdu 30 % de mon chiffre d’affaires, se plaint M. Yves Hamon, qui vend des articles de sport et loue des skis à l’enseigne de La Hutte. En 1989, ça été pire encore : 50 % de moins. Or, à ce jour (en 1990), je n’ai pas loué une seule paire de skis et mes ventes sont dérisoires. Je ne tiendrai le coup qu’en liquidant certains de mes biens personnels ». Les employés des remontés mécaniques et les pisteurs attendent l’allocation chômage. Les trente moniteurs, tous travailleurs indépendants, ont déjà perdu 20 % de leur revenu hivernal. Des propos semblables sont repris le 27 décembre par C. Francillon, à propos de Valmeinier dont la dette s'élève, en 1996, à plus de 20 millions d’euros, soit 60 000 euros par habitant ! Une situation qui s’est améliorée depuis, grâce aux aides massives du département et de la région (« Les stations de moyenne montagne sauvées par le retour de la neige »).
Pourtant, en 1991, J. F. Lorit, inspecteur général de l’administration, dans un rapport sur la situation des stations de sports d’hiver des Alpes, dénonçe l’équipement de sites aux qualités médiocres, l’absence de véritables études économiques et financières préalables à l’aménagement de certains domaines skiables, le recours massif à l’emprunt pour financer des investissements en remontés mécaniques jugés « inconsidérés ». « Une quinzaine de communes s’est tellement engagée dans la spirale de l’endettement qu’elle se trouve dans une situation immédiate ou potentiellement de cessation de paiement, dont elle ne peut espérer s’en sortir sans aide extérieure », concluait le rapporteur. En 1993, une étude remise au ministre de l’équipement, B. Bosson, pronostique la fermeture partielle ou totale de plusieurs stations, confrontées à des « difficultés structurelles », mais aussi le « désarmement » de dizaines de téléskis et de télésièges, si les conditions économiques et financières des communes les plus sinistrées s’aggravent.
Lorsque la saison est amputée d’un mois d’activité, les revenus baissent de près d'un quart, si la saison ne dure que deux mois la perte de chiffre d'affaires est de 50%. Plusieurs mauvaises années consécutives conduisent au départ des petites entreprises. Afin de limiter ces effets, certaines stations de moyenne montagne ont fondé une « assurance neige », solution qui consiste à devancer les aléas de l’enneigement et à rembourser certains acteurs locaux endettés, suite à une mauvaise saison. Cette assurance a permis de sauver quelques stations (Le Grand Bornand, Saint-Pierre-de-Chartreuse ou Lans-en-Vercors pour les plus célèbres). Le sauvetage coûte très cher aux conseils généraux. Pour éviter les « friches touristiques », ils mettent "sous perfusion" un grand nombre de stations. L’Isère, qui ne gère plus directement de sociétés de remontés mécaniques, continue toutefois d’aider les stations des Sept-Laux, de Gresse en Vercors et de l’Alpe du Grand Serre, à coup de subventions et de garanties d’emprunts. La Drôme maintient en survie plusieurs sites en injectant près de 1,5 millions d’euros par an. Le département de Savoie est impliqué à travers les sociétés de remontés mécaniques de Courchevel, de Méribel-Mottaret et de Val Thorens. Le conseil général a sauvé du désastre économique la commune de Valmeinier en 1996-1997 en rachetant son parc de remontés mécaniques, pour 2,5 millions d’euros.
Plusieurs dizaines de villages de moyenne altitude sont confrontés aux mêmes problèmes. Le retour de la neige dans les années 1996-1999, a permis à plusieurs stations de maintenir la tête hors de l’eau et de tenter de diversifier leurs activités hivernales. Mais la situation peut elle perdurer ? Quel peut être l’avenir de tous ces acteurs montagnards ? Les années « sans neige » leurs ont-elles permis de penser le futur autrement ?
Tous les indicateurs montrent que les stations continuent tout de même à se développer, à faire des projets, à construire et investir pour accueillir des touristes toujours plus nombreux, offrir du ski alpin ou de fond, des randonnées, de la luge, … dans un cadre agréable et si possible au soleil. Des dizaines de stations de moyenne altitude continuent à s’endetter et investir, en espérant devenir un haut lieu touristique (Vamorel, Champagny-en-Vanoise, Pralognan la Vanoise, Montchavin–Les Coches, Peisey-Nancroix, Villaroger, en Tarentaise ; Les Aillons, La Féclaz dans les Bauges ; Saint-François-Lonchamps, Les Karellis, Valloire, Valmeinier, Valfréjus ou Aussois en Maurienne)…. La réalité est apparemment difficilement acceptée par les acteurs ! Malgré les multiples alertes, le message n'est pas passé dans les communes ou autres stations de Savoie. Dans leur frénésie d’investissement et de développement, ces stations sont totalement aveuglées et n’envisagent pas la baisse de l’enneigement. Villaroger, par exemple, souhaite passer de 250 lits à 650. Projet ambitieux pour le budget communal, même si le tourisme estival peut compenser le manque à gagner hivernal. La commune, avec la SMA, prévoit aussi de remodeler 10 km de pistes d’ici 2010, de construire un télésiège de jonction avec les Arcs, 300 m plus haut. Ces projets se chiffrent en dizaine de millions d’euros. Le maire compte sur deux atouts : la localisation en ubac et le rattachement à un domaine de haute altitude. La plupart des stations de moyennes montagnes de la Tarentaise raisonne de même, y voyant une garantie pour l'avenir (Champagny-en-Vanoise, Montchavin–Les Coches, Saint Martin de Belleville, Valmorel… ). Les stations de moyenne montagne qui n’ont pas de domaine de haute altitude (les Aillons, la Féclaz), malgré tout décident de multiplier leur potentiel de lits touristiques dans les décennies à venir.

En résumé, les menaces pour le futur sont différentes selon les stations :
- Les stations qui n'ont pas de problème majeur : Les Arcs, La Plagne, La Rosière, Tignes, Val d’Isère, Les Ménuires, Val Thorens, Méribel, Courchevel, La Toussuire, le Corbier, ou Bonneval-sur-Arc. Grandes stations de troisième génération, elles sont dotées de domaine de haute altitude, où les problèmes d’enneigement sont contenus. Elles sont situées à plus de 1 600 m et se consacrent au ski alpin.
- Les stations où le risque est occasionnel : Valmorel, Montalbert, Montchavin–Les Coches, Peisey-Valandry, Villaroger, Sainte-Foy-en-Tarentaise, Saint-Martin-de-Belleville, Champagny-en-Vanoise, Pralognan-la-Vanoise, Saint-François-Longchamps, Les Karrelis, Valloire, Valmeinier, Valfréjus, Aussois, Val Cenis. En moyenne montagne, de deuxième et de quatrième générations, plus dépendantes de l’enneigement, elles se sont rattachées à un domaine de haute altitude. L’investissement, le développement et l’aménagement sont tournés vers le ski alpin et nordique. Entre 1 200 et 1 400 m elles bénéficient d’un domaine de haute altitude ou se sont reliées à une grande station de troisième génération. Le manque de neige ne pourra être pallié par les canons à neige. La vigilance financière seule permettra de ne pas céder à l’euphorie d'investissements.
- Les stations où le risque sera fréquent à l'avenir : Aillons, la Féclaz, Arêches-Beaufort, Hauteluce, Orelle, Modane. Ce sont les stations de moyenne altitude sans domaine de haute altitude. La politique d’aménagement et de développement tournée vers le tourisme hivernal y est important, les investissements élevés. Entre 1 000 et 1 400 m, elles sont directement menacées par la baisse de l’enneigement. Beaucoup ne prennent pas en compte les alertes sur le futur. Les conséquences économiques, sociales et financières seront catastrophiques.
- Les stations où la reconversion est nécessaire : Moûtiers, Aime–Macôt, Bellentre–Landry, Bourg-Saint-Maurice, Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Michel-de-Maurienne. Les stations de sports d’hiver de première génération sont touchées directement par la rareté de la neige en dessous de 1 000 m. Les investissements et l'aménagement y sont faibles et souvent tournés vers le ski de fond, la randonnée en raquette ou en traîneau.
Plus de la moitié des stations ou sites de sports d’hiver ont un risque « moyen », c’est-à-dire qu’il n’est pas trop tard pour modifier leurs politiques et leurs projets d'avenir.


La baisse de l’enneigement en basse et moyenne altitudes dans les Alpes, est une réalité observée par les chercheurs de Météo France et du CEN, qui l'associent au réchauffement global. Ils considèrent que cette hausse thermique conduira à une baisse de l’enneigement des Alpes françaises en dessous de 1 800-2 000 m.. Certes, la neige de culture permet de palier un déficit de neige, mais cette technique coûteuse requiert des températures basses et beaucoup d'eau : elle n'est donc pas utilisable partout. Pour profiter de la montagne en hiver, il faudra aller chercher la neige plus haut où elle sera plus abondante, ce qui devrait contraindre les acteurs locaux d’une station sur deux à s’adapter à cette nouvelle donne.

BIBLIOGRAPHIE :
FRANCILLON C., Bientôt des montagnes sans neige ni glace ?, Géo 2001, n°264, pp.88-90
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TABEAUD M., Les variations historiques du climat en Europe, Biogéographica, 2002, 78, pp.149-157

ANENA, adresse URL : http://www.anena.org/
CENTRE NATIONAL DE RECHERCHES METEOROLOGIQUES, adresse URL : http://www.cnrm.meteo.fr
METEO FRANCE, adresse URL : http://www.meteo.fr
SKIINFO, adresse URL : http://www.skiinfo.fr/index.jsp
SMA-LES ARCS, adresse URL : http://www.ski-lesarcs.com/fr


B. Delaporte et M. Tabeaud
 
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